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Une barge rousse réalise un vol record de 13 560 km entre l’Alaska et la Tasmanie

L’oiseau, un jeune né en 2022, a volé 11 jours et 11 nuits au mois d’octobre, sans boire ni manger.

Article rédigé par  Thomas Baïetto  France Télévisions

Onze jours de vol sans escale et sans ravitaillement, sur 13 560 km. C’est le voyage un peu fou entre l’Alaska (Etats-Unis) et la Tasmanie (Australie) d’une barge rousse qui a battu en octobre 2022 le record d’un vol direct pour un oiseau. La performance de « 234684 », son identifiant, a été officialisée début janvier par le Guinness Book des records (en anglais).

« Toutes les barges rousses font de longues migrations, mais celles d’Alaska font des vols exceptionnels », explique à franceinfo Maxime Zucca, ornithologue et auteur du livre La migration des oiseaux : comprendre les voyageurs du ciel (Sud-Ouest éditions, 2022). Pourquoi ? Parce qu’entre l’Alaska, où elle niche, et la Nouvelle-Zélande, où elle passe l’hiver, « il n’y a pas de lieu pour refaire des réserves de graisse, même si l’on trouve quelques atolls ». Un tel vol direct permet également de limiter les risques de maladie et de gagner du temps.

Un séjour préparatoire pour grossir

Un tel périple se prépare avec soin. A la mi-août, ces oiseaux limicoles, qui se nourrissent des vers que l’on trouve au bord de l’eau, font une première étape, plus courte, dans le delta du Yukon, « où il y a de très bonnes vasières« , détaille l’ornithologue. Ils y restent un mois, le temps de grossir de 50%, pour passer de 200 à 300 grammes.

Juste avant le départ, les barges observent une période de jeûne de quelques jours. « Elles arrêtent de manger pour que les organes liés à l’alimentation, qui ne sont pas nécessaires au vol, s’atrophient. Tout l’enjeu est de trouver le bon équilibre entre réserves de graisse et poids pas trop handicapant pour voler », analyse Maxime Zucca.

Un demi-sommeil en vol

L’oiseau attend les vents porteurs et s’envole généralement en soirée. Pendant tout le voyage, il évolue ensuite entre 3 000 et 5 000 m d’altitude, en fonction des vents les plus favorables. Si le volatile ne se nourrit ni ne boit durant son périple, il prend tout de même un peu de repos. « L’hypothèse est que, comme d’autres oiseaux ou les dauphins, il rentre dans un sommeil unihémisphérique », expose Maxime Zucca. Concrètement, ce type de sommeil ne concerne qu’une moitié du cerveau et permet à l’autre de continuer à battre des ailes.

« Les oiseaux ont besoin de beaucoup moins de sommeil que nous. Pendant l’été arctique, la barge rousse dort par phase de 20-30 minutes à trois ou quatre reprises dans la journée. »  Maxime Zucca, ornithologue

Au printemps, le vol se fait dans l’entre sens, à cause des vents contraires, en passant cette fois-ci par la Chine et la Corée. Les cousines européennes de 234684 volent, elles, entre la Mauritanie et la Sibérie, avec des escales en mer de Wadden (Pays-Bas) ou dans les vasières de l’ouest de la France.

Un oiseau menacé par les activités humaines

Cet impressionnant ballet migratoire reste fragile. Les barges rousses sont sensibles à la destruction de leur habitat, l’une des principales causes de disparition de la biodiversité. Les surfaces de vasière diminuent, en particulier dans le delta de Bohai, en mer de Chine, relève Maxime Zucca. 

Le réchauffement climatique provoqué par notre consommation de charbon, pétrole et gaz leur pose un autre problème. Pour nourrir leurs petits, elles comptent en effet sur les tipules (ou cousins). Or, le réchauffement des zones de nidification bouleverse le calendrier et fait émerger ces proies plus tôt dans l’année. Les barges sont donc priées d’accélérer leur migration pour arriver à l’heure, ce qui raccourcit le temps passé à s’engraisser pendant les étapes. « La conséquence, c’est qu’il y a plus de mortalité en migration, qu’elles arrivent en moins bonne condition physique et se reproduisent moins bien », déplore Maxime Zucca.