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Polémique sur les attaques de bétails : « non, les vautours ne s’attaquent pas aux animaux en pleine santé »

Par Théo Tzélépoglou le 09.08.2021 à 12h09, mis à jour le 09.08.2021

L’écologue Olivier Duriez a démissionné de son rôle de conseiller scientifique auprès du comité interdépartemental du Massif central, une instance de concertation autour de la cohabitation entre les vautours et les élevages. Dans un entretien à Sciences et Avenir, il dénonce une inquiétante défiance contre la parole scientifique.

vautours fauves

Vautours fauves (Gyps fulvus) dans les gorges de la Jonte (Aveyron-Lozère).

Theo Tzelepoglou

Olivier Duriez est chercheur au Centre d’écologie fonctionnelle est évolutive de Montpellier (CEFE). Depuis 10 ans il est conseiller scientifique ornithologue dans sept plans nationaux d’action (vautours, aigles et faucons), ainsi que dans des structures internationales comme l’UICN, Vulture specialist group ou la Vulture Conservation Foundation. Ses activités de recherche concernent l’écologie et la démographie des rapaces. Les vautours sont sujets à des controverses récurrentes en lien avec les élevages. C’est dans ce contexte que l’ornithologue a récemment écrit une lettre expliquant pourquoi il a démissionné de son rôle de conseiller scientifique au comité interdépartemental Massif central vautour-élevage. Sciences et Avenir a pu interviewer le chercheur afin de démêler le vrai du faux sur les polémiques autour des vautours.

« Une profonde défiance envers la parole scientifique »

Sciences et Avenir : Quel est le contexte de ces polémiques et pourquoi avoir démissionné ?

Olivier Duriez : Dans le cadre du plan national d’actions (PNA) « Vautour fauve et activités d’élevage 2017-2026 », le comité interdépartemental Massif central vautour-élevage comprend six départements, l’Ardèche, l’Aveyron, le Gard, l’Hérault, la Lozère et le Tarn. Ce comité a été récemment étendu aux départements du Cantal, Haute-Loire et Puy de Dome. Il vise à résoudre la question des interactions entre le vautour fauve (Gyps fulvus) et le bétail pour préserver la relation entre éleveurs et vautours, et sa recolonisation sur les territoires.

Lors de la réunion du comité du 30 juin 2021, j’ai ressenti une profonde défiance envers la parole scientifique, dans la lignée des comités qui se sont tenus depuis 2 ans, mais en pire. Dans une lettre j’ai voulu expliquer pourquoi je démissionne afin de faire entendre un autre son de cloche au plus proche des réalités scientifiques. Il y a une très forte pression de la part des chambres d’agricultures et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui demandent une régulation des vautours sur la base d’arguments qui ne tiennent pas la route. Et surtout, au mépris des nombreux éleveurs de la région des Grands Causses qui travaillent avec les vautours depuis 30 ans et qui ne s’en plaignent pas, bien au contraire. Lors de cette réunion du 30 juin, on a entendu beaucoup de choses imprécises ou fausses venant des représentants du monde agricoles, en ne laissant pas la parole aux personnels en charge du suivi de la population de vautours au jour le jour : les agents de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ceux du parc national des Cévennes, et des scientifiques comme moi qui analysent les données de suivi.

« Le vautour fauve est opportuniste, le bétail en pleine santé n’a rien à craindre »

Quel est la problématique entre ces acteurs et les vautours ?

Il y a un problème d’interprétation des comportements naturels des vautours. Certains éleveurs se plaignent d’attaques de vautours sur des animaux vivants et en pleine santé mais ces preuves sont souvent ténues et sans expertise d’un vétérinaire indépendant spécialement formé à déterminer les causes de la mort de l’animal, notamment s’il a été consommé de son vivant (ante-mortem) ou une fois mort (post-mortem), et si la cause de la mort est imputable aux vautours de manière déterminante (animal en bonne santé), ou bien si les vautours sont intervenus comme facteur aggravant une situation de faiblesse ou blessure, ou accompagnant la mort certaine. Le vautour fauve est opportuniste, un animal en pleine santé n’a rien à craindre.

En revanche, un animal immobile ou qui saigne fortement et qui est condamné à une mort certaine peut les attirer dans de rares cas. Cela reste néanmoins l’exception. Lors d’une analyse portant sur 156 constats officiels et 82 expertises vétérinaires entre 2008 et 2014, commanditée par le Comité Massif Central nous avions calculé qu’il avait eu en moyenne deux cas ante-mortem par an (sur les départements Aveyron-Lozère-Gard-Tarn-Hérault). Donc oui, il arrive que des animaux vivants soient consommés par les vautours, mais jamais en pleine santé, avec des vautours agissant comme facteur aggravant ou accompagnant la mort. Et il est nécessaire de contrebalancer ce chiffre avec les 40 000 carcasses d’animaux envoyées à l’équarrissage chaque année sur ces départements des Grands Causses, et dont plusieurs milliers sont consommées et éliminées par les vautours chaque année. Le risque de consommation ante-mortem est donc infime, inférieur à 0.01%.

« Attention au biais de perception causé par le comportement spectaculaire des vautours en alimentation »

Comment certains éleveurs justifient-ils ces allégations ?

Pour certains il y a trop de vautours, ils meurent donc de faim, parcourent ainsi de plus grandes distances et s’attaquent aux animaux vivants. Les vautours sont très efficaces dans leur recherche de carcasses : ce sont des oiseaux grégaires, qui peuvent parcourir 150 km par jour sans effort, et quadrillent leur domaine vital depuis 400-1000 m de hauteur, grâce à leur acuité visuelle exceptionnelle. Il arrive souvent qu’ils voient un animal mort depuis le ciel bien avant le berger ou l’éleveur. En revanche, ce dernier, qui voit un animal vivant, puis quelques heures plus tard un animal mort consommé par des vautours, a vite fait de conclure que les vautours sont responsables de la mort de l’animal. Il semble qu’il y ait ici un biais de perception, causé en partie par le comportement spectaculaire des vautours en alimentation. Voire tomber du ciel une centaine de vautours, qui vont ensuite consommer une carcasse de brebis en 30 minutes dans un enchevêtrement de plumes et de cris, c’est très surprenant, voire intimidant si ce n’est pas expliqué que c’est un comportement naturel de l’espèce. Toute leur morphologie et leur physiologie a évolué pour ce rôle de charognard. Ils font en réalité le même travail d’équarrisseur depuis 30 millions d’années !

Quand on regarde la cartographie des problèmes répertoriés entre 2008 et 2014, et encore en 2020-2021, il n’y a pas de problème d’interactions relevés au cœur des colonies de vautours sur les grands causses (Lozère-Aveyron) où les vautours ont leur nid et sont présents depuis 40 ans. S’il y avait un problème de ressource alimentaire, les vautours commenceraient à se servir à côté de chez eux. Mais non, l’essentiel des problèmes d’interactions a lieu au-delà d’un rayon de 50 km au nord (sur le Cantal et l’Aubrac) et à l’ouest (Lévézou aveyronnais). On touche du doigt ici ce problème d’incompréhension du comportement des vautours. J’étais dernièrement chez une éleveuse qui me faisait part de son incompréhension autour de cette polémique, elle a grandi avec les vautours sur le Causse noir (Aveyron) au-dessus d’une colonie de vautours et n’a jamais eu aucun problème. Elle invite tous les éleveurs du Massif Central qui ont des problèmes avec les vautours, ou qui se posent des questions, à venir rencontrer les éleveurs du Causse.

vautour fauve

Un vautour fauve (Gyps fulvus) planant dans les gorges de la Jonte (Aveyron-Lozère). ©Theo Tzelepoglou

La cohabitation entre les vautours et l’élevage n’est donc pas problématique ?

Depuis quelques années, les vautours augmentent leur espace vital vers l’est et le nord depuis les colonies des grands causses, ne faisant que retrouver leur espace vital qu’ils avaient il y a 100 ans avant d’être exterminés. Ce n’est pas de la colonisation, c’est de la recolonisation suite à de la réintroduction. Nous avons de nombreux textes qui mentionnent des vautours en été par le passé, notamment dans le massif central. Il y a des habitats extrêmement favorables pour ces oiseaux, et des bêtes d’élevages qui meurent de temps en temps en estive. Les vautours reviennent naturellement sur ces contrées pour remplir leur rôle de charognard.

« Ce n’est pas une question de bétail, mais d’habituation »

Il y a aussi des allégations portant sur des troupeaux qui seraient affolés et stressés par la présence de vautours, ce qui induirait des blessures ou des avortements car les vautours voleraient sciemment très proche du bétail pour les faire tomber et les manger. Là encore, il faut comprendre la biologie des vautours et leur manière de voler : ils ne peuvent utiliser que le vol plané sur de longues distances, et pour décoller, ils ont besoin de courir face au vent ou dans une pente. Si le troupeau se trouve à cet endroit, il sera effectivement survolé de près, mais pas de manière intentionnelle pour effrayer… Au moment de la réintroduction dans les causses, dans les années 1980, il y a eu une période transitoire de quelques mois où les troupeaux ont dû ré-apprendre à vivre avec ces grands oiseaux qui les survolent. Certains avancent aujourd’hui l’idée que des espèces comme les vaches Aubrac seraient plus sensibles aux vautours, mais il y a tout un troupeau de cette race de vache au-dessus de Millau, très proche d’une grosse colonie de vautours fauves et il n’y a aucun problème de stress sur ce troupeau. Ce n’est pas une question de races de bêtes, mais une question d’habituation. Dans les Pyrénées les troupeaux cohabitent passivement avec ces oiseaux ne levant même pas les yeux quand ils les survolent. Il n’y a pas trop de vautours aujourd’hui, la capacité de charge (nombre d’individus maximum dans un écosystème en fonction des ressources, ndlr) n’est pas atteinte, Il y avait beaucoup de plus de vautours par le passé jusqu’au Puy de Dôme. 

Les éleveurs ont pourtant tout intérêt à bénéficier des services des vautours…

Oui, le bénéfice des services rendus par les vautours est énorme pour un cout minuscule. Les vautours évitent aux éleveurs possesseurs de placette d’équarrissage de payer pleinement la taxe d’équarrissage en procurant naturellement et gratuitement ce service tous les jours. Ils sont également bénéfiques pour la société et la planète, puisqu’ils évitent la circulation d’une quantité de camions dans les montagnes et rejetant du CO2. Ils sont enfin bons pour le tourisme, puisqu’ils représentent une image de marque qui fait venir les gens.  Les éleveurs du Massif Central ont tout à gagner de la recolonisation des vautours.

« Il n’y a pas d’éléments scientifiques qui nécessitent une régulation des vautours »

La sensibilisation permettrait-elle d’apaiser les tensions et faire évoluer les mentalités ?

Il est évident qu’il faut renforcer la sensibilisation, surtout dans les régions nouvellement colonisées du Massif central. Comme j’expliquais auparavant, les comportements des vautours sont spectaculaires et possiblement intimidants s’ils ne sont pas expliqués par des ornithologues. Il faut anticiper et accentuer les actions de communication avant l’arrivée des vautours sur de nouveaux territoires. Une fois qu’ils sont présents, c’est trop tard… Mais ce que je trouve vraiment dommageable de la part du comité vautour élevage et du Plan National D’action vautour, c’est de laisser proliférer les fake-news dès qu’un phénomène suspect se déclare. On poste sur les réseaux sociaux, on contacte les médias locaux qui ne vérifient pas forcément leurs sources et en dernier recours on appelle les agents assermentés de l’Office Français de la biodiversité (OFB) et vétérinaires pour effectuer les expertises. Ces dernières avaient été arrêtées en 2014 suite au bilan qu’il n’y avait aucun problème. Ce qui est criminel à mes yeux c’est qu’aujourd’hui, ces expertises ne sont pas rendues publiques immédiatement. Les journaux locaux publient chaque semaine de nouveaux articles à sensation portant sur des attaques de vautours, mais le bilan officiel des expertises, concluant à une grande majorité de cas post-mortem, n’arrive que 6 mois plus tard… Par ailleurs, lors du comité du 30 juin, les animateurs de la réunion (DDT12) n’ont pas arrêté de parler des « attaques » du printemps 2021, même pour les 7 cas sur 10 clairement expertisés comme post-mortem, donc ne relevant pas d’une « attaque »… Avec le processus actuel et la sémantique employée, les services de l’état ne font donc rien pour arrêter la rumeur et contribuent donc à propager le complotisme. Je milite pour un rendu public immédiat de ces expertises issues de l’argent public, et publié dans la presse. Sans cela comment démentir les fake-news et articles à charge et faire retomber la pression ?

Les services de l’état prennent-ils position dans cette affaire ?

Suite à ma démission de ce comité, je n’ai reçu aucune réponse officielle des préfectures, de la DDT et de l’Office français pour la biodiversité du Massif Central, en charge de ces questions.  Au comité vautour-élevage du 30 juin, il y a eu des menaces de régulations illégales sur les vautours, qui sont des espèces protégées, et aucun membre des services de l’état n’a réagi. Il n’y a pourtant pas d’éléments scientifiques qui nécessitent une régulation. Au moment de la fermeture des charniers en Espagne durant la crise de la vache folle, il y a eu une baisse significative du succès reproducteur des vautours dans les Pyrénées françaises. C’est exactement ce que les écologues avaient prédit pour ce genre d’espèce à grande longévité (30 ans). Aujourd’hui les vautours des Causses se reproduisent bien parce qu’il y a de la nourriture. Le suivi de la reproduction est notre meilleur indicateur de l’adéquation entre la population de vautours et sa ressource alimentaire. Il est important de changer les mentalités sur cette espèce. Face à ces constats, Il apparait donc indispensable de reprendre la dynamique de création de placettes d’équarrissage naturel dans le Massif Central. Contrairement au discours de plusieurs représentants agricole, la situation est apaisée à proximité immédiate des colonies de vautours dans les secteurs où sont concentrées la plupart des placettes d’équarrissage naturel.

Le vautour fauve (Gyps fulvus)
Grand rapace de la famille des Accipitridaese, il arbore un plumage brun cendré et une collerette blanche. Son envergure pouvant atteindre 2,80 mètres en font un des plus grands rapaces, lui permettant de se laisser porter par les courants thermiques ascendants pour planner. Il pèse entre 8 et 11 kg et son corps peut mesurer jusqu’à 1 m. C’est un oiseau nécrophage d’une longévité de plus de 30 ans vivant en colonie et nichant dans les falaises rocheuses de préférence calcaires. 
En vol, les individus scrutent le sol à la recherche de cadavres. Le vautour qui en trouve un descend rapidement et signale ainsi à ses congénères la présence d’une source de nourriture. S’en suit la « curée », soit le moment où la carcasse est consommée. En moins d’une heure, il ne reste que le squelette, voire la peau du cadavre.
Le vautour fauve a quasiment été exterminé en France en raison de persécutions liées à l’usage de poison, de tirs et de la mise en place de mesures sanitaires d’équarrissage obligatoire des cadavres du bétail. L’espèce a disparu des Alpes et des Alpilles au XIXème siècle et du Massif Central et Grands Causses, en 1946. Seule  une seule colonie réduite subsistait dans les Pyrénées dans les années 60. L’espèce a été sauvée grâce à la création de réserves naturelles et de programmes de réintroduction en Italie et en France dans les Grands Causses (1981-1986), les gorges de la Vis (1993-1997), la Drôme provençale (1996-2001), le Verdon (1999-2004) et le sud du Vercors depuis 1999. Elles ont permis de reconstituer l’aire de répartition nationale connue au début du XXe siècle, et ont été suivies d’un accroissement des effectifs et de l’apparition de nouvelles colonies. Ce phénomène de recolonisation suit toujours son cours aujourd’hui