CHEMIN DES PLUMES

Voyager & découvrir

Ouverture de la chasse au gibier d’eau sur les étangs français proches des marais d’Harchies

 

objectivement l’impact de la chasse sur l’avifaune fréquentant les marais d’Harchies.

Je vous rassure tout de suite : la chasse y est bien complètement interdite, mais pas dans les zones humides françaises contigües. Situé à l’extrémité de la vallée de la Haine, le complexe humide Condé-sur-l’Escaut – Harchies est scindé par une frontière entre deux pays où les pratiques cynégétiques sont régies par des réglementations différentes. Plus encore que de présenter les résultats de cinq années de suivi de l’ouverture de la chasse au gibier d’eau telle que pratiquée en France et son impact sur une zone humide majeure pour la Wallonie, cet article permet de s’interroger sur les incohérences de l’Union Européenne qui tolère sur son territoire le prélèvement d’espèces qui sont protégées par d’autres états membres.

Le jour de l’ouverture de la chasse en France, les oiseaux que nous avons protégés, observés et vus se reproduire à Harchies vont faire face à un véritable tir de barrage lors de leurs déplacements entre dortoirs et lieux de gagnage au-delà des bornes françaises. Quel gâchis !

Cette frontière, ligne virtuelle créée par l’homme que les animaux ne connaissent pas, ne détermine pas uniquement le droit de vie ou de mort pour la gent ailée. Assurément, la chasse aux oiseaux d’eau n’est pas une exclusivité d’Outre-Quiévrain, en Wallonie également, 21 espèces d’oiseaux d’eau sont encore autorisées à la chasse. Ce droit d’une époque qui devrait être révolue est délégué à une petite minorité s’adonnant à un loisir qui ne peut se justifier aujourd’hui qu’au nom de la tradition. Encore trop souvent considéré Res nullius (qui n’a pas de propriétaire mais qui est néanmoins appropriable), les animaux étiquetés comme gibiers  tant  à  plumes  qu’à poils méritent certainement plus de considération et de respects à cette époque où ils subissent maints facteurs limitants liés à notre développement encore trop peu respectueux de leurs besoins.

Il est établi que la vaste majorité de nos concitoyens, belges et français, désapprouve totalement cet état de fait.

En nous mobilisant toujours plus nombreux pour la défense de la nature, je suis convaincu que nous arriverons à faire cesser cette appropriation uni- latérale de la nature. Gageons qu’à terme, les chasseurs devront s’adonner à d’autres activités plus honorables pour la faune et troquer leur fusil pour une paire de jumelles… veulent-ils le faire de leur plein gré ou contraints et forcés ? Le choix est le leur.

« Retrouver un meilleur équilibre entre les activités humaines et la nature » ; notre mission reste d’autant plus d’actualité !

 

Philippe Funcken,

directeur général de Natagora

1Relais du pôle ornithologique d’Aves en Hainaut Occidental mons.tournai@aves.be

RÉSUMÉ

En août, hormis pour quelques nichées tardives, la reproduction des anatidés est terminée et, bien que le grégarisme hivernal ne soit pas encore totalement adopté, plus d’un millier de canards de diverses espèces se regroupent déjà sur les étangs des marais d’Harchies. La chasse au gibier d’eau telle que pratiquée dans la zone humide française limitrophe entre Condé-sur- l’Escaut et Saint-Aybert prélève chaque année un contingent important d’anatidés séjournant sur ce site. Même si ce fait est connu de longue date, aucune étude n’a encore été menée jusqu’à présent pour tenter d’estimer, même partiellement, son impact sur cette zone humide majeure de Wallonie. Cet article dresse les premiers constats du dénombrement des passées vespérales réalisé avant et après l’ouverture de la chasse de 2016 à 2020 entre les marais d’Harchies et les lieux de gagnage situés en France.

description des sites

étang de chabeau latour

PHOTO 1 L’étang de Chabeau Latour (environ 95 ha) situé sur la commune de Condé sur l’Escaut à moins de 4kmdes marais d’harchies, accueille des activités touristiques, de pêches ainsi que plusieurs huttes de chasse au gibier d’eau

marais de la canarderie

Photo 2Marais de la canarderie à partir du chemin des Moulinaux. Ce marais situé entre l’étang de Chabeau Latour et les marais d’Harchies abrita entre les 17° et 18° siècle la canardière de Condé qui lui donna son nom après sa vente en parcelles

mare de chasse typique

Photo 3

Une mare de chasse typique St Aybert à gauche, le chevalement ou châssis à molette du puits Ledoux n°1 d’où descendait les cages d’ascenceurs dans la mine de charbon. À l’arrière de la mare de chasse se situe un terril conique (196) de 33m de haut entièrement boisé

prairie de fauche

Photo 4 Prairie de fauche tardive localisée à l’avant d’une roselière à Phragmites australis (roseau commun) du marais de la Canarderie. Sol humide et riche en nutriments à la végétation caractérisée par la présence de Cardamine pratensis (la cardamine des prés) et de Alopecurus pratensis (le vulpin des prés), cette prairie a été restaurée par le Département du Nord

canardière

FIGURE 2 | Localisation de la Canardière de Condé-sur-l’Escaut. Les marais d’Harchies sous leur forme actuelle, sont seulement apparus dans la première moitié du 20e siècle. Carte de Cassini 18e siècle / Location of the « Canardière de Condé-sur-l’Escaut ».

À leur limite ouest, ces marais jouxtent, en France, entre Condé-sur-l’Escaut (Condé) et la commune de Saint-Aybert, un territoire semi-naturel d’environ 800 ha (Figure 1) composé de bocages et de zones humides. Ces dernières, d’une surface d’environ 340 ha, sont principalement composées de l’étang Chabaud-Latour, de l’ancien site minier connexe dit « Fosse Ledoux » et du marais de la Canarderie. Celui-ci abrite de nombreuses mares et huttes de chasse. Il a fait l’objet d’inventaires et de classement divers pour son intérêt écologique (Zone Importante pour la conservation des oiseaux ZICO, Espace Naturel Sensible ENS, Zone de Protection Spéciale ZPS FR3112005 Vallée de la Scarpe et de l’Escaut). Enfin, ce marais a été reconnu en 2020 comme zone humide d’importance internationale au titre de la Convention Ramsar attribué aux Vallées de l’Escaut et de la Scarpe.

 

Appartenant au même bassin versant du Haut Escaut et résultant d’affaissements miniers équivalents, cet ensemble franco-belge singulier d’environ 1.350 ha est inclus dans le Parc naturel transfrontalier du Hainaut, avec le Parc Naturel Régional Scarpe-Escaut en France et le Parc Naturel des Plaines de l’Escaut en Belgique.

HISTORIQUE ET ÉVOLUTION DE LA CHASSE PRATIQUÉE ENTRE CONDÉ ET SAINT-AYBERT

Au confluent de l’Escaut et de la Haine, cette zone humide française était déjà au 17e siècle un haut lieu de la chasse au gibier d’eau où, à l’initiative du comte Bucquoÿ, Charles-Albert de Longue- val (1607-1663), officier militaire et grand bailli de Hainaut, une canardière fut construite entre 1638 et 1640 par le Hollandais Jean Willame (DeuDon, 2020 ; Figure 3).

Cette pratique de piégeage, dont le modèle fut importé de Hollande, constituait autrefois un réseau hydraulique complexe de canaux et de fossés reliés à un étang sur lequel des nasses en osier en forme de corne de bouc étaient dis- posées. À l’époque déjà, des appelants étaient utilisés pour attirer les canards sauvages. Une fois posés sur l’étang, sans aucun coup de fusil, ces derniers étaient rabattus par des chiens de chasse spécifiquement dressés vers les nasses pourvues de trappes (à cette époque, pour ne pas effrayer les oiseaux d’eau il était interdit de tirer un coup de fusil à moins d’une lieue (4 km) de ce site). Unique en Hainaut, cette installation a été utilisée jusqu’en 1789, date de la Révolution française qui a alors mené à la vente du site par parcelles (DeuDon, 2020). À partir de cette époque, cette pratique a évolué vers la chasse à la hutte qui en reprend les bases techniques. Ainsi transférée, cette méthode cynégétique a été démocratisée aux milieux populaires et ouvriers (DeuDon, 2020). Cette canardière donna plus tard son nom au marais de la Canarderie 

 

Figure 3

canarderie

hutte de la chapelle

PHOTO 5 | Hutte de chasse camouflée devant une mare spécialement aménagée pour attirer les anatidés. Cette hutte est située à moins d’un kilomètre des marais d’Harchies sur l’axe principal des passées

Les archives de la famille de Croÿ à Dulmen (Allemagne), qui en était propriétaire jusqu’à son démantèlement, renseignent pour l’année 1660 la capture de 12.526 canards et 10.881 en 1699 (Herzog von Croÿ’sches Archiv, cotes 2941 à 3005). La majorité des anatidés était capturée entre octobre et décembre (DeuDon, 2020). À partir du 18è siècle, suite aux conséquences de l’activité militaire dans la région (destructions et inondations), de conditions climatiques défavo- rables (gel et sécheresses) ainsi qu’un manque d’entretien des fossés, les prises ont décliné (344 canards en 1739) pour mener finalement à l’abandon de cette canardière (DeuDon, 2020).

Il est intéressant de noter que le marais d’origine qui a accueilli cette canarderie avait fait l’objet d’une dispute entre le comte de Bucquoy et les religieux de Crespin qui ne voulaient pas concéder cette terre, comprenant une importante roselière où la tenderie était pratiquée (L. Deudon, com. pers.).

canarderie

PHOTO 6 | Mare aménagée pour les activités cynégétiques dans le marais de la Canarderie de Condé

Plusieurs canardières ont cependant traversé les siècles notamment aux Pays-Bas où elles ont acquis le titre de monuments historiques naturels (https://www.eendenkooien.nl/de-vangsten). En Flandre, celle de Meetkerke près de Brugge, a été restaurée et est à présent ouverte au public (https://www.brugseommeland.be/nl/verborgen/ eendenkooi-meetkerke).

De nos jours, même si la tendance récente est à la hausse dans certains prés humides belges proches des marais d’Harchies, la chasse au gibier d’eau est sans commune me- sure avec celle pratiquée dans le complexe humide Condé – St-Aybert. Deux méthodes de chasse aux oiseaux d’eau sont pratiquées : celle à la hutte et celle à la passée. La première consiste à tirer sur les canards, principalement à la tombée de la nuit, lors de leur arrivée sur un plan d’eau où ils sont attirés à l’aide d’appelants et de leurres en plastique disposés face aux ouvertures de tir. La seconde, également appelée à l’affût, consiste à tirer, dissimulé dans la végétation le long d’un cours d’eau ou d’un étang, sur le gibier d’eau en vol lors des dé- placements crépusculaires. Ceux-ci également appelés « passées », débutent deux heures avant le lever du soleil pour celle du matin tandis que celles du soir se terminent deux heures après le coucher du soleil. Pour rappel, la France est le pays européen qui compte le plus d’espèces d’oiseaux chassables : 64 dont 38 sont considérées comme gibier d’eau (https://www.lpo.fr/connaissance-de-la-biodi- versite/la-chasse-des-especes-en-france-et- en-europe-dp1). En Wallonie, c’est malgré tout 21 espèces qui sont considérées comme telles (http://environnement.wallonie.be).

MÉTHODES DE SUIVI

En 2016, dans le but de dénombrer les jeunes de Spatules blanches Platalea leucorodia à l’envol, un point d’observation entre le site de nidifica- tion situé à Hensies et les lieux de gagnage (lieu d’alimentation) en France fut recherché. Outre le fait de confirmer les nombreux échanges entre ces deux sites pour les ardéidés et les Spatules blanches (JenarD et al, 2008 ; Simar, 2013 ; malen- greau et al., 2016), un flux important d’anatidés fut également noté à la tombée de la nuit entre les marais d’Harchies et Condé.

L’observation des vols crépusculaires des anati- dés permet de mesurer l’alternance de l’occupa- tion de l’espace entre les lieux de rassemblement utilisés par ces oiseaux d’eau le jour (remises) et le gagnage la nuit. Pour estimer l’impact de la seule journée de l’ouverture de la chasse sur ces

vols d’avant-nuit, plusieurs passées vespérales furent suivies entre 2016 et 2020 avant et après son ouverture. Celle-ci a traditionnellement lieu en France, hors littoral, le 21 août dès 6 h du ma- tin. Les canards en vol entre Harchies et Condé ainsi que les coups de fusils furent dénombrés de 20 h jusqu’à environ 21 h 45, lorsqu’il devient impossible d’observer les oiseaux. Par commodi- té, mais surtout parce que le passage du soir est plus concentré et moins étalé dans le temps que celui du matin (TamiSier & DehorTer, 1999), seules les passées du soir furent suivies.

Le point d’observation, situé en Belgique, offre une vue dégagée sur les mares de chasse. Peu élevé, cet endroit ne permettait cependant pas de dénombrer les oiseaux s’envolant des marais d’Harchies vers Saint-Aybert ou se posant directement sur l’étang dit « Poujet » (Photo 7), situé à moins de 50 m des marais d’Harchies (Figures 4 et 5).

zone de gagnage

FIGURE 4 | Lignes de déplacement des anatidés entre sites de résidence en Belgique et zones de gagnage en France

étang dit Poujet

FIGURE 5 | Localisation de l’étang dit Poujet ainsi que la zone de chasse adjacente située tout contre les marais d’Harchies. Les oiseaux s’envolant de l’étang Van Damme sont attirés par l’agrainage mis en place dans cette zone de chasse. La majorité s’envolant de cet étang sont abattus dés que la frontière avec la France est passée. Sur cet étang, selon les années, plusieurs centaines d’anatidés peuvent y stationner jusqu’à l’ouverture de la chasse

chasse de St Aybert

PHOTO 7 | Vue sur une partie de la zone de chasse de Saint-Aybert (Fr) à partir du point d’observation situé à Bernissart. Les marais d’Harchies se situent à quelques centaines de mètres sur la gauche

En complément aux passées vespérales, un re- censement des canards se reposant en journée sur les étangs des marais d’Harchies fut également réalisé avant et après l’ouverture de la chasse en 2017 et 2020.

Au début de la saison de la chasse, les canards et tout particulièrement les halbrans (jeunes canards sauvages) n’ont pas encore acquis le réflexe de fuite leur permettant d’éviter les zones de tir vers des sites de gagnage libres d’activités cynégétiques. Par ce fait, ces oiseaux sont extrêmement vulnérables et, comme l’ont montré nos observations, un grand nombre d’entre eux se feront tirer une fois posés sur les mares de chasse. La différence entre deux dénombrements représente la part d’individus prélevée par les chasseurs

DÉNOMBREMENT DES PASSÉES VESPÉRALES

Le 21 août 2016 vers 21h, entre les premiers canards de la passée du soir et les derniers visibles dans l’obscurité, 750 individus sont observés dans le sens Harchies – Condé. Bien que paniqués, mais trop habitués à trouver de la nourriture, ceux-ci ne fuyaient pas mais volaient d’une mare de chasse à l’autre tentant coûte que coûte de s’y poser. Lors du comptage réalisé dans les mêmes conditions le 22 août, 270 canards avaient été dénombrés, soit une différence de 480 oiseaux.

Le 20 août 2017, 476 canards furent observés contre 47 lors de la passée vespérale du 21 août.

Comme l’indique le nombre de coups de fusil (879) notés ce soir-là, un passage plus important eut certainement lieu hors du champ de vision des observateurs. Suite au trop petit nombre d’oiseaux notés au cours de l’été 2018, les comp- tages réalisés sont jugés non représentatifs (maximum 44 pour la période concernée). Cet été qui fit l’objet d’une sécheresse hors norme www.meteo.be), provoqua un déficit d’eau dans plusieurs mares de chasse (A. Malengreau obs. pers.). Ce manque d’eau explique certainement le faible passage constaté à plusieurs reprises tout au long de cette saison-là.

Comme l’indique le nombre de coups de fusil (879) notés ce soir-là, un passage plus important eut certainement lieu hors du champ de vision des observateurs. Suite au trop petit nombre d’oiseaux notés au cours de l’été 2018, les comp- tages réalisés sont jugés non représentatifs (maximum 44 pour la période concernée). Cet été qui fit l’objet d’une sécheresse hors norme www.meteo.be), provoqua un déficit d’eau dans plusieurs mares de chasse (A. Malengreau obs. pers.). Ce manque d’eau explique certainement le faible passage constaté à plusieurs reprises tout au long de cette saison-là.

 

FIGURE 6 | Évolution des oiseaux dénombrés lors des passées vespérales suivies en juillet et août 2016. L’ouverture de la chasse provoque une chute importante des oiseaux observés (480)

 

 

ouverture de la chasse

TABLEAU 1 | Comparaisons des différents dénombrements lors des déplacements vespéraux à l’ouverture de la chasse (21 août) entre les marais d’Harchies et la zone de chasse Condé – St-Aybert

 

Année

 

Coups de feu recensés

Estimation des anatidés tués sur base des coups de fusil. Trois ou deux coups de fusil pour un oiseau tué Anatidés recensés lors de la passée vespérale du 21 août Différence d’anatidés entre passées vespérales incluant celle de l’ouverture de la chasse du gibier d’eau
2016 1.100 en 1h30 366 – 550 750 480 entre le 21 et 22 août
2017 879 en 1h 30 293 – 439 47 429 entre le 20 et 21 août
 

2018

Comptage non représentatif suite au trop petit nombre d’oiseaux noté dans le courant de cet été d’une sécheresse hors norme  

 

 

2019 994 en 1h30 331- 497 137 NC
2020 2.054 en 1h40 684 – 1.027 433 613 entre le 20 et 22 août

En 2019, seuls 137 anatidés furent comptés. Comme en 2017, le nombre de coups de fusil (994) laisse également à penser que le passage fut plus important qu’observé.

Enfin, en 2020, la différence entre les dénom- brements du 20 août et du 22 août était de 613 canards suite à la seule journée de l’ouverture de la chasse.

Le résultat des observations des différentes pas- sées vespérales montre une grande variabilité annuelle du nombre d’oiseaux (Tableau 1). Vu l’importance que revêt l’ouverture de la chasse pour les giboyeurs, il est supposé que l’agrainage, l’entretien des étangs et le nombre de fusils pré- sents furent constants au cours des cinq années du suivi. Les variables des passées furent donc : la qualité du suivi (la luminosité, l’expérience des observateurs, la pluie), le passage hors du champ de vision de l’observateur, le succès de la reproduction locale, la dispersion postnuptiale et surtout les niveaux d’eau.

Lors de la passée du soir, entre chien et loup, il est vite compliqué voire impossible de différencier un Canard colvert Anas platyrhynchos d’un Chipeau Anas strepera. Les observations ont cependant montré que la toute grande majorité était des Colverts accompagnés de quelques individus d’autres espèces : Sarcelles d’hiver Anas crecca, Sarcelle sp., Chipeaux, Souchets Anas clypeata, Fuligules sp. Aythya sp., Tadornes de Belon Tadorna tadorna et Ouettes d’Égypte Alopochen aegyptiaca.

La chasse aux Fuligules n’étant pas autorisée avant le 14 septembre, il est permis de s’inter- roger sur la faisabilité de distinguer ces Fuligules isolés parmi les vols de canards de surface lorsqu’ils se posent sur les mares de chasse.

DÉNOMBREMENT DES COUPS DE FUSIL

Seuls les coups de feu des passées vespérales de l’ouverture de la chasse du gibier d’eau furent dénombrés. En 2016 et 2020, le comptage fut réalisé grâce à un enregistrement audio. Le court extrait accessible (www.aves.be/581) en complément d’information donne un aperçu de l’intensité des tirs à l’arrivée des premiers oiseaux.

En 2016 et 2020, nous avons observé que neuf coups de feu furent nécessaires pour abattre trois Ouettes d’Égypte en vol. En 2017, deux observateurs présents dans l’observatoire de l’étang Van Damme, le plus proche de la frontière française, notèrent que des 43 canards ayant quitté cet étang, aucun n’avait survécu une fois la frontière passée et que 130 coups de feu avaient retenti au-dessus de l’étang Poujet (P. Desablens, V. Swinnen, obs. pers.).

Une étude menée dans les marais du Vigueirat (Camargue, France) a évalué l’efficacité des coups de feu notés par jour aux heures de la passée. Cette étude estime qu’il faut en moyenne trois coups de fusil pour tuer un oiseau en vol (TamiSier & DehorTer, 1999). Ceci confirme nos présentes observations pour les oiseaux en vol. Les spécificités de la chasse à la hutte sont différentes de la chasse à la passée étudiée en Camargue. A la hutte, de nombreux oiseaux sont tirés lorsqu’ils se posent devant les fenêtres de tir et dans ce cas il n’est pas nécessaire d’utiliser trois cartouches. Le rapport entre les coups de fusil et le nombre d’oiseaux abattus est donc probablement plus proche de deux.

DÉNOMBREMENT DES CANARDS PRÉSENTS SUR LES MARAIS D’HARCHIES

En 2017 et 2020, un dénombrement des canards présents à la mi-journée sur les marais d’Har- chies fut réalisé avant et après l’ouverture de la chasse. Le 19 août 2017 entre 1.600 et 1.700 canards se reposaient sur les étangs d’Hensies et d’Harchies. Le lendemain de l’ouverture de la chasse, entre 1.200 et 1.300 y stationnaient encore, soit un écart minimum de 400 oiseaux. En 2020, l’écart estimé dans les mêmes conditions étaient compris entre 100 et 200 oiseaux.

Malgré les difficultés d’observation occasionnées par la concentration et l’éloignement dans la ripisylve, l’évaluation de la composition de la population visible d’anatidés le 19 août 2017 était de 200 Milouins, 30 Souchets, 25 Chipeaux et entre 1 350 et 1 450 Colverts (L. Verroken, obs.be).

Le 22 août 2020, 197 Milouins, 209 Chipeaux et 1.364 Colverts occupaient les mêmes étangs (G. Vandendriesche, com. pers.).

Les résultats obtenus par ces comptages diurnes n’offrent pas une image complète des popula- tions d’anatidés présentes sur les étangs (Photo 8). La part d’individus se reposant hors visibilité dans les roselières ou celle ayant déserté les remises diurnes des zones de chasse pour rejoindre ces plans d’eau hennuyers n’a pu être estimée

rassemblement d'anidés

PHOTO 8 | Rassemblement d’anatidés en fin d’été sur un des étangs des marais d’Harchies

ESTIMATION DU PRÉLÈVEMENT D’ANATIDÉS VENANT DES MARAIS D’HARCHIES LORS DE LA SEULE JOURNÉE DE L’OUVERTURE

DE LA CHASSE

Pour estimer le nombre de canards tirés pro- venant des marais d’Harchies lors de la seule journée de l’ouverture, il aurait fallu avoir accès aux carnets de tir dans lesquels les chasseurs doivent renseigner leurs prises et les comparer aux différents dénombrements (Tableau 1) réalisés dans le cadre de ce suivi. En l’absence de ces informations, l’estimation la plus fiable est celle basée sur la différence entre des passées crépusculaires qui incluent celle de l’ouverture de la chasse du gibier d’eau (Tableau 1). Elle est de 480 oiseaux en 2016, et de 429 en 2017. Le passage trop faible d’anatidés en 2018 ne permet pas d’aperçu fiable. Pour 2020, l’estimation est de 613 canards tirés.

Des agents de l’ONCFS qui connaissent bien cette zone et qui avaient précédemment réalisé des comptages équivalents à partir de Saint-Aybert, estimaient le prélèvement pour l’unique jour- née de l’ouverture de la chasse à minimum 750 individus (agents de l’ONCFS com. pers.)

DISCUSSION

Pratiques cynégétiques visant à augmenter la population

d’anatidés sur un étang de chasse

Pour fixer et renforcer une population locale d’anatidés aux fins d’augmenter le tableau de chasse, le chasseur à la sauvagine (celle dédiée aux oiseaux d’eau sauvages) recourt à diverses pratiques. La plus efficace est celle de l’agrainage qui consiste en un apport de nourriture, exclusivement de céréales (maïs, lentille cultivée, avoine, blé…). Dès qu’un canard sauvage a trouvé un étang où cette ressource alimentaire est présente en quantité et facile à atteindre, il y retournera tous les soirs. Bien que cette pratique soit réglementée et interdite après le 1er août, cette date tardive a déjà permis d’attirer et d’im- primer les lieux de gagnages chez de nombreux halbrans locaux.

Compléments indispensables pour attirer les canards sauvages, des appelants issus de captivité ou des formes plastique sont disposés sur les plans d’eau (Photos 9 et 10). Les appelants vivants sont majoritairement des femelles de Colvert sélectionnées sur base de critères de vocalisation bien précis. Comme par exemple,« chanteuse » pour attirer les canards sauvages à distance ou « court cri » pour une femelle dont les cris aident à rapprocher les oiseaux attirés par la cane chanteuse (http://www.ancge.fr/gibier). Ces canes sont encagées à la périphérie de l’étang, sur des plateaux flottants ou intégrés dans un attelage (Photos 9 et 10) posé sur l’eau où plusieurs canards sont attachés à une ligne d’ancrage au moyen d’une bague métallique.

Lorsque les besoins en prélèvements dépassent ce que la nature peut offrir, les sauvaginiers peuvent renforcer l’effectif local par des lâchers massifs d’anatidés, principalement de Canards colverts. Dans les cas les plus courants, des individus âgés de moins 10 semaines sont relâchés sur place un à deux mois avant l’ouverture. Sur certaines chasses dites « commerciales », des lâchers peuvent même avoir lieu quelques jours avant la chasse, voire le jour même. Dans tous les cas, les oiseaux sont nourris sur place jusqu’à l’ouverture de la chasse et sont souvent peu mobiles voire pas du tout jusqu’aux premiers coups de feu.

En Europe, plus de trois millions de Colverts sont lâchés chaque année à des fins cynégé- tiques (Champagnon et al, 2013). Il est estimé qu’en France, plus grand contributeur européen, environ 1.500.000 Colverts d’élevage sont relâchés annuellement (Champagnon et al, 2013). Dans la zone concernée par notre suivi, contrairement à d’autres régions françaises comme en Camargue, en Brenne ou encore en Sologne (Champagnon 2011), 

appelant issu de captivité

PHOTO 9 | Appelant issu de captivé, cette cane de Canard colvert est placée dans une cage pour attirer ses congénères

 

attelage d'oiseaux

PHOTO 10 | Attelage d’oiseaux d’eau imités par des formes en plastique installées devant une hutte de chasse. Encagés dans des nasses sur la gauche et à droite de cette hutte, les appelants vivants viendront compléter ce dispositif dès l’ouverture de la chasse

 les chasseurs au gibier d’eau ne réalisent pas de lâchers massifs. Peu intéressés par cette pratique, ces derniers utilisent plutôt diverses stratégies pour attirer des canards sauvages. Tout au plus, des femelles de Colvert sont relâchées sur les étangs en fin d’hiver pour renforcer la population ayant réussi à passer la saison de la chasse (agents ONCFS, J.-P. Lejeune, com. pers.).

À l’issue de la saison de la chasse, ces appelants sont relâchés en nombre sur les étangs à proximité de l’étang de Chabaud-Latour (R. Ton- nel, com. pers.). Impossibles à différencier à l’œil nu des Colverts sauvages (ByerS & Cary, 1999), ces individus qui sont issus d’élevages, rencontrent des oiseaux sauvages. Les croisements entre populations induisent un affaiblissement génétique et peuvent favoriser des épisodes d’influenza aviaire (Champagnon et al, 2013 ; CamBerlein, 2019).

Les lâchers massifs, connus, à des fins de chasses commerciales, les plus proches des marais d’Harchies, sont réalisés à plus de 20 km en région montoise sur les étangs de Saint-Denis à Havré

intrus, pris sur le fait

PHOTO 11 | Pris sur le fait, ce chasseur cherchait un Canard Colvert qu’il venait de blesser par arme à feu et qui s’était posé dans les marais d’Harchies entre l’étang Van Damme et la frontière française. Camouflé comme des Forces Spéciales militaires, ce dernier était passé par un accès discrètement réalisé entre la France et la Belgique 

Autres effets négatifs induits par la chasse

Le suivi mis en place dans le cadre de cette étude n’a permis d’estimer que la composante directe la plus visible : le nombre d’oiseaux tirés à l’ouverture de la chasse. Cependant, différentes études menées sur ce sujet montrent que le dé- rangement induits par la chasse a des effets plus vastes sur les oiseaux que le prélèvement direct (TamiSier & DehorTer, 1999).

Celui occasionné aux oiseaux d’eau fréquentant les marais d’Harchies par l’activité cynégétique française est bien plus étendu dans le temps que la seule journée de chasse suivie ici. Il se poursuit durant toute la période de chasse et peut avoir des effets sur la distribution, le comportement et les effectifs des espèces. Pouvant être diluée dans l’espace et le temps, son évaluation est particulièrement compliquée pour des espèces migratrices (TamiSier & DehorTer, 1999).

Le dérangement agit notamment sur la distance de fuite qui peut doubler après l’ouverture de la chasse avec, comme corolaire, d’augmenter les interruptions de comportements alimentaires et de réduire le temps consacré aux activités indispensables à leur survie (alimentation, repos, toilettage…). Il peut également modifier la distribution spatiale des oiseaux et augmenter le risque des maladies lorsque les individus se concentrent sur les zones non perturbées (influenza aviaire, botulisme…). Le dérangement peut également précipiter un départ en migration et limiter la capacité d’accueil des sites (durée du séjour et nombre d’individus) (TamiSier & DehorTer, 1999). L’impact des perturbations ne s’arrête pas aux anatidés. D’autres espèces d’oiseaux d’eau comme les ardéidés et la Spatule blanche modifient également leurs déplacements après l’ouverture de la chasse (A. Malengreau, obs. pers.).

À cette liste, s’ajoutent les dérangements occasion- nés par des visiteurs qui tentent de provoquer l’en- vol intempestif des canards présents dans les ma- rais d’Harchies. La présence assidue de nombreux naturalistes sur ce site a permis d’être témoin, tout au long de la saison de chasse, de dérangements tels que lâchers de chiens de chasse dans les étangs, jets de pétards ou encore bruits excessifs dans les observatoires. Il est opportun de préciser que ces faits semblent moins courants ces dernières années, hormis en 2018 où deux chasseurs venant de l’étang Poujet situé France ont été surpris dans le périmètre de cette ZHIB entre l’étang Van Damme et la frontière franco-belge (Photo 11). Pris sur le fait, camouflés comme des Forces Spéciales militaires, ils chassaient en pleine journée dissimulés dans la végétation (Photo 11). Pour justifier leur présence, ces derniers ont fait valoir leur droit de suite (droit qui permet à un chasseur de pénétrer sur une propriété privée pour achever l’animal qu’il a déjà mortellement blessé ou sur ses fins) pour suivre un Colvert qu’un des chasseurs venait de blesser. Le droit de suite n’étant pas applicable sans autorisation en Belgique, ces derniers ont été renvoyés d’où ils venaient (A. Malengreau, obs. pers.)

 

PHOTO 11 | Pris sur le fait, ce chasseur cherchait un Canard Colvert qu’il venait de blesser par arme à feu et qui s’était posé dans les marais d’Harchies entre l’étang Van Damme et la frontière française. Camouflé comme des Forces Spéciales militaires, ce dernier était passé par un accès discrètement réalisé entre la France et la Belgique 

Une gestion des niveaux d’eau propice aux anatidés

Pour se nourrir, les canards recourent à différents comportements alimentaires : broutage (le plus souvent à sec ou sur des prairies inondées), picorage (prélèvement à vue de particules végétales à la surface de l’eau), bec (seul le bec immergé), bec et tête (ces deux parties du corps sous l’eau), tête et cou (permet d’accéder à une profondeur plus grande en nage active), bas- cule et plongée (TamiSier & DehorTer, 1999). Ces comportements correspondent à la fois aux spécificités des espèces et à des situations environnementales particulières, notamment les ressources alimentaires disponibles par étang. Par exemple, les Milouins et les Morillons, se nourrissent exclusivement via la Plongée tandis que les Sarcelles d’hiver, les Canards chipeaux et les Canards souchets présents en août sur les étangs d’Harchies ont un comportement alimentaire principalement de type Bec. Le comporte- ment alimentaire propre aux marais d’Harchies pour le Colvert n’est pas connu avec précision. Les canards de surface trouvent leur nourriture en la récoltant sous l’eau de préférence dans des zones d’alimentation peu profondes (quelques cm) qui leur permettent de garder les yeux hors de l’eau et donc de maintenir une activité de vigilance anti-prédateurs. Dans tous les cas, les profondeurs maximales d’accès aux ressources alimentaires que les canards de surface peuvent atteindre le cou tendu sont de -25 cm pour la Sarcelle d’hiver, -27 pour le Chipeau, -35 pour le Souchet et -40 chez le Colvert (TamiSier & DehorTer, 1999).

Sans une bonne connaissance des facteurs influençant les comportements alimentaires précédemment cités propres au site et sans relevés bathymétriques des étangs, il est impossible de proposer des cotes fiables pour des niveaux d’eau plus propices à retarder, voire à diminuer le flux du passage des anatidés vers les zones de gagnage françaises. Cependant, sur base de nos constatations (Figure 7), hormis pour 2020, une cote moyenne des étangs d’Hensies et d’Harchies sous 17,1 m semble propice à diminuer le nombre d’oiseaux aux passées vespérales (cette cote ne représente pas la profondeurs des étangs. Il s’agit d’une indication relative par rap- port au niveau de la mer qui est suivie pour la gestion hydraulique).

relations entre l'ouverture de la chasse et le niveau d'eau

FIGURE 7 | Corrélation entre les passées vespérales à l’ouverture de la chasse du gibier d’eau et le niveau d’eau des étangs (échelle limnimétrique se référant au niveau de la mer) des marais d’Harchies hors étang de Pommerœul

L’exercice n’est cependant pas simple. Favoriser des niveaux d’eau bas trop tôt dans la saison de nidification exposerait les nichées dans les roselières à diverses prédations, particulièrement pour des nicheurs tardifs comme le Blongios nain Ixobrychus minutus, tandis que les laisser trop hauts semble jouer en défaveur du passage des anatidés entre Harchies et Condé.

Le niveau de l’étang B, qui est le plus en aval du réseau d’étangs d’Hensies et d’Harchies, interconnectés par un réseau de fossés et de moines hydrauliques (système de gestion d’un plan d’eau), se prête facilement à un niveau d’eau plus bas sans impacter ceux des autres étangs. Diminuer la hauteur d’eau de cet étang dès la première décade du mois d’août pourrait être une mesure à privilégier.

 

Validité des estimations

Les différentes méthodes de comptage mises en place lors de ce suivi offrent des analyses différentes. Difficilement comparables entre elles, elles permettent néanmoins de mesurer l’ampleur du nombre d’oiseaux prélevés en provenance des marais d’Harchies et proposent une image réaliste de la pression de la chasse exercée à proximité de ces marais belges lors de la seule journée de l’ouverture de la chasse.Le suivi des passées d’avant-nuit donne une connaissance exacte de la provenance des oiseaux et permet d’estimer la part prélevée entre les comptages. Pour réaliser ce suivi, il est essentiel de trouver un point de vue dégagé sur toute la zone de chasse et de réduire la part d’oiseaux passant hors du champ de vision des observateurs. Ce suivi inclut probablement les oiseaux tirés lors de la passée du matin de l’ouverture de la chasse n’a pas été suivie.

Le suivi standardisé par dénombrement des coups de feu offre une excellente indication de la pression cynégétique. Dans la zone de chasse dito, les oiseaux sont tirés une fois posés sur les mares de chasse ou en vol. Par conséquent, l’estimation du nombre de cartouches nécessaires pour tuer un canard est certainement plus proche de deux que de trois comme mis évidence en Camargue (TamiSier & DehorTer, 1999). Cette méthode ne donne cependant pas d’indication sur la provenance des oiseaux.

Le dénombrement des anatidés présents sur les étangs d’Harchies avant et après l’ouverture de la chasse du gibier d’eau donne une estimation de la part prélevée. Cependant, celle se reposant hors visibilité dans les roselières ne peut être estimée ni celles ayant fui les remises diurnes de la zone chasse française pour atteindre ces marais hennuyers.

CONCLUSIONS

Il ressort de notre étude que plusieurs centaines d’anatidés sauvages, majoritairement des Canards colvert, stationnés sur les marais d’Harchies sont tirés à des fins de loisirs lors de la seule journée de l’ouverture de la chasse en France (probablement plusieurs milliers sur une saison de chasse complète).

Les trois méthodes utilisées sont complémentaires pour l’estimation du passage Harchies – Condé et du nombre de canards tirés. Bien que standardisé et facile à réaliser, le seul dénombrement des coups de fusil ne donne une indication que sur le nombre d’oiseaux tirés dans la zone de chasse et non sur leur provenance. Cet indicateur permet néanmoins de prendre la mesure de cette activité cynégétique à proximité directe de ce site exceptionnel. Suivant nos observations, c’est la différence entre des passées qui incluent celle du 21 août qui est la plus propice à fournir une estimation du prélèvement réalisé sur la population d’anatidés présents sur les marais d’Harchies pour la seule journée de l’ouverture de la chasse au gibier d’eau.

La chasse à la hutte telle que celle pratiquée sur l’étang Chabaud-Latour, qui s’est seulement développée à partir de 1935, lorsque des fa- milles de mineurs y ont disposé d’un droit de chasse (DeuDon, 2020) pour améliorer l’ordinaire, perturbe plusieurs dizaines espèces d’oiseaux fréquentant les marais d’Harchies.

Les efforts humains et pécuniaires consentis par les gestionnaires de ce site (DNF & Natagora) pour favoriser la nidification locale d’anatidés sont, chaque année, réduits à néant après seulement quelques jours de chasse. Nos observations permettent de confirmer que cette pratique tue in- différemment femelles et jeunes sans que ces derniers aient pu se reproduire au moins une fois.

Occupant le terrain bien avant que la conscience écologique ne s’organise en réseaux dans les années 1950, les chasseurs furent les seuls à se pourvoir comme des références pour la gestion de la nature. Au fil des décennies, ils ont tissé un réseau solide et efficace d’influence, les autorisant à se présenter comme les seuls défenseurs de la nature. S’il est correct de penser que les chasseurs de gibier d’eau ont certainement permis en France de sauvegarder de nombreuses zones humides, qui, sans les influents réseaux des fédérations de chasse, auraient été dévolues à l’agriculture moderne et à l’urbanisation d’après-guerre, ils se sont néanmoins appropriés un bien commun, imposant au fil des décennies leur vision unique de la conservation de la nature et de la ruralité.

Mais les choses changent. Depuis les années 1990, dans le cadre de la politique des Espaces Naturels Sensibles (https://fr.wikipedia.org/wiki/ Espace_naturel_sensible), le département du Nord a obtenu un droit de préemption sur le secteur de la Canarderie à Condé. Dans ce cadre, plusieurs propriétés de chasse ont été acquises et, par la suite, les huttes ont été démontées. Après une restauration des milieux, elles ont été ouvertes au public. Depuis le début des années 2000, quelques dizaines de huttes ont ainsi été soustraites à la chasse (Photo 12) et démontées tant dans le marais de la Canarderie de Condé que sur la propriété départementale de l’étang Chabaud-Latour (J.-P. Lejeune, com. pers.).

C’est une action à long terme très bénéfique. Il y a 30 ans dans cette zone, il était impossible de faire la moindre observation pendant la période de chasse et très déconseillé de s’y balader avec une paire de jumelles. Le souvenir nous revient qu’au cours de l’hiver 1990-91, une des deux Grandes Aigrettes Ardea alba, espèce rarissime à l’époque, hivernant dans les marais d’Harchies, avait été tirée dans le marais de la Canarderie (goDin, 1991). Cela a beaucoup changé depuis, même si le département du Nord n’a pas de droit de préemption sur la commune de Saint-Aybert où, comme nos observations l’ont démontré, les huttes y sont très« performantes » grâce aux marais d’Harchies qui servent de réserve à gibiers d’eau.

canarderie

PHOTOS 12 | Mares dans le marais de la Canarderie extraites à la chasse par le Département du Nord (FR). Les huttes de chasse sont démontées, les mares restaurées avant d’être finalement accessible au public

 

canarderie

Les chasseurs de la commune de Saint-Aybert l’ont d’ailleurs bien compris en installant des huttes de chasse tout contre ces marais et même un mirador (Photo 13) à moins de cinq mètres de la limite des marais d’Harchies.

mirador

PHOTO 13 | Mirador installé en France sur la zone de chasse de l’étang Poujet. Ce dernier est situé à 5 m de la limite des marais d’Harchies et offre une vue et certainement un poste de tir de choix sur les canards s’envolant de l’étang Van Damme vers la France

Plus qu’ailleurs, naturalistes, chasseurs, associations de protection de l’environnement et organismes officiels, bien qu’à des fins différentes, sont unis par un objectif commun : protéger cette zone humide franco-belge. Pour y arriver en limitant le dérangement dans les marais d’Harchies,une concertation menée entre toutes les parties sous l’égide du Parc naturel transfrontalier du Hainaut pourrait être envisagée.

Outre un niveau d’eau adéquat, la pierre angulaire de l’attractivité d’un étang pour les anatidés est l’agrainage mis en place par les chasseurs côté français afin d’assurer le retour routinier des canards. Bien qu’éthiquement discutable dans un site comme les marais d’Harchies, la seule contre-mesure efficace serait peut-être d’agrainer sur un des étangs de cette ZHIB quelques journées aux alentours de l’ouverture de la chasse. Étalant ainsi le flux du passage dans le temps, cette mesure procurerait peut-être plus de temps aux anatidés pour occuper des zones de gagnage libres de chasse.

Pour conclure, ce site majeur pour notre avifaune mériterait une étude sur ce sujet menée sur plusieurs années dans un cadre professionnel. Celle-ci pourrait approfondir les différents aspects du dérangement, réaliser ou mettre à jour les relevés bathymétriques des étangs, caractériser les ressources alimentaires disponibles par étang, déterminer les comportements alimentaires, estimer l’adéquation de l’accès à la nourriture et donc le niveau d’eau adéquat aux anatidés pour chaque étang et enfin, mesurer l’impact de la chasse sur les populations d’anatidés (nidification – hivernage) présentes sur ces marais.

REMERCIEMENTS

 

Nous remercions très sincèrement Cathy Zanté, Didier Muyshont, Françoise Vanderstichele, Gwenaëlle Vanden- driesche, Martine & Joseph Zanon, Pierre Desablens, Romain Decrem, Sabrina Mari, Vincent Dufour & Vincent Swinnen pour leur investissement dans ce suivi particu- lièrement pénible pour des passionnés d’oiseaux.

Pour leur appui et leur confiance, notre gratitude va à Mr Damien Bauwens Directeur au SPW-Arne Dépar- tement de la Nature et des Forêts de Mons, à Mr Jean-François Dulière Ingénieur chef de cantonnement au SPW-Arne Département de la Nature et des Forêts de Mons et Président du comité de gestion des marais d’Harchies-Hensies-Pommeroeul, à Mr Thierry Paternoster attaché scientifique au SPW-Arne Département de l’Etude du Milieu naturel et agricole ainsi qu’à l’ensemble des membres de ce comité de gestion.

Tant pour leurs remarques que pour la précision des informations qu’ils nous ont fournies, nous remercions Benoît Gauquie, Gérald Duhayon, Pierre Camberlein, Jean-Philippe Lejeune, Roger Tonnel et tout spéciale- ment Laetitia Deudon qui nous a autorisé à reproduire des extraits de sa thèse de doctorat encore en préparation.

Enfin, nous remercions Philippe Jenard, Colette Delmarche et Anne Weiserbs pour leur soutien et les remarques et corrections constructives, tout comme l’ont été celles du comité de rédaction.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Byers,  s.M.  &  Cary,  J.r.  (1991) :   Discrimination   of Mallard strains on the basis of morphology. Journal of Wildlife Management, 55 : 34-39 • ChaMpagnon, J., gauthier-ClerC, M., leBreton, J.-D., Mouronval, J.-B., guilleMain, M. (2013) : Les canards colverts lâchés pour la chasse interagissent-ils avec les populations sauvages ? Faune sauvage, 298 : 4-9 • ChaMpagnon, J. (2011) : Consé- quences des introductions d’individus dans les popula- tions exploitées : l’Exemple du Canard Colvert anas Anas platyrhynchos. Thèse de doctorat, Université Montpel- lier 2 • CaMBerlein, p. (2019) : Canard colvert, Anas platy- rhynchos. in BeauDoin C., Boutrouille C., CaMBerlein p., goDin J., luCzak C., pisChiutta r. & sueur F. (coord.). Les oiseaux nicheurs du Nord et du Pas de Calais. Biotope, Mèze : 70-71 • DelCourt, J. & hauteClair, p. (2011) : Nos terrils leur vraie nature. Weyrich, Neufchâteau • DeuDon,

  1. l. (2017) : La canardière de Condé : un exemple d’Hy-

draulique cynégétique original de la vallée de l’Escaut. Carnet de l’Escaut – Histoire et archéologie de la vallée de l’Escaut. https://escaut.hypotheses.org/67DeuDon, l. (2020) : Ch. 3. L’ère des étangs : les structures piscicoles et cynégétiques intégrés aux hydrosystème (XIIe -XVIIIesiècles), thèse de doctorat en préparation • Denhez, F. (2014) : La chasse le vrai du faux. Delachaux & Niestlé, Paris • gérouDet, p. (1999) : Les Palmipèdes d’Europe. Delachaux & Niestlé, Lausanne • goDin, J. (1991) : Une Grande Aigrette massacrée par les chas- seurs de gibier d’eau à Condé sur l’Escaut. Le Héron, Volume  24/n°1 :  58  •  JenarD, p., leirens, v., roCa, M., verroken, D., verroken, l. & siMar, J. (2008) : Première nidification wallonne de l’Aigrette garzette (Egretta garzetta) et retour du Bihoreau gris (Nycticorax nyc- ticorax) au sein de la héronnière mixte des marais d’Harchies en 2006. Aves, 45/2 : 65-80 • Malengreau, a., DuFour, v., Mari, s., MeersMan, J-F., piCarD n. et M., swinnen, v., verroken  D. et  l. & zanon, M. et  J. (2016) : Première nidification réussie de la Spatule blanche (Platalea leucorodia leucorodia) en Wallonie. Aves, 53/4 : 207-218 • siMar, J. (2013) : Nidification de la Grande Aigrette (Casmerodius albus) aux marais d’Harchies : analyse d’une installation difficile. Aves, 50/2 : 80-88 • taMisier, a. & Dehorter o. (1999) : Camargue, canards et foulques. Fonctionnement et devenir d’un prestigieux quartier d’hiver. Centre Ornithologique du Gard.

 

 

 

SUITE EN COURS