L’internet des animaux, une révolution gelée par la guerre en Ukraine

Ambitieux, ce projet pourrait permettre de prévenir des catastrophes naturelles, des pandémies, mais aider aussi à protéger la biodiversité.

ANIMAUX – Technologie et nature font parfois bon ménage. Si généralement ces deux termes sont opposés, un nouveau projet intitulé ICARUS tente de démontrer le contraire. L’objectif? Créer un immense réseau de bio-localisation réunissant pas moins de 100.000 animaux équipés de balises afin de pouvoir suivre l’évolution du climat et des écosystèmes.

Débutée en septembre 2020, l’étude est expliquée dans l’édition d’avril de la revue Trends in Ecology & Evolution. Tout a commencé avec un merle. L’oiseau est en effet le premier animal à avoir été doté d’un nouveau type de balises dites ICARUS (acronyme de International Cooperation for Animal Research Using Space). Ces dernières transmettent leurs données à une antenne placée sur la Station spatiale internationale (ISS).

Beaucoup plus proche de la terre (environ 400 km), la balise a donc besoin de moins de puissance et d’une batterie moins grosse que si elle émettait vers un satellite. Les balises ICARUS sont alors plus petites, plus légères. Il est donc plus aisé de les placer sur des animaux plus petits, généralement des oiseaux migrateurs.

Grâce à cela, les chercheurs comptent créer un véritable “internet des animaux”, dont les applications seront multiples. Ils espèrent ainsi pouvoir prévenir de certaines catastrophes naturelles comme des tempêtes et ouragans, mais aussi protéger la biodiversité en luttant contre la déforestation illégale, le braconnage etc.

Bien évidemment, ces capteurs peuvent causer de l’inconfort à l’animal. Néanmoins “chaque balise est faite pour qu’elle soit la plus discrète possible”, explique au HuffPost Romain Lorrillière, chercheur au CESCO. Ce dernier travaille lui aussi avec des modèles ICARUS dans le cadre d’un programme français similaire, le projet Kivi Kuaka

La guerre en Ukraine complique les choses

La guerre en Ukraine a entraîné un coup d’arrêt des recherches utilisant les balises ICARUS, comme le projet éponyme dirigé par le Centre pour la biodiversité de l’Université de Yale aux États-Unis et l’Institut Max Planck du comportement animal en Allemagne.

En effet, les balises émettent vers une antenne installée sur la partie russe de l’ISS (pour des raisons techniques). Or, avec le conflit actuel, tout partenariat avec l’agence russe chargée de récupérer les données a été stoppé. L’internet des animaux n’est cependant pas un mort-né, comme l’explique Romain Lorrillière: Le projet “n’est pas arrêté dans sa philosophie, mais il est au point mort”. 

S’il n’y a pas de solutions à court terme, la donne est différente à moyen terme. Le chercheur explique en effet que d’ici “fin 2024, des scientifiques (et ceux du projet ICARUS sont impliqués) travaillent à développer une série de satellites à basse altitude. Cela pourrait permettre de remplacer l’antenne positionnée sur l’ISS, tout en perfectionnant ce système.

Des animaux sentinelles

Une fois l’animal équipé, la balise transmet tout une multitude de données (notamment GPS) qui sont librement accessibles en ligne sur une plateforme appelée Movebank. Actuellement, des capteurs sont déployés sur 91 sites, tous continents confondus comme le montre le tweet ci-dessous:

Selon Romain Lorrillière, “si on doit y voir un objectif final, c’est l’amélioration des systèmes d’alerte précoce”. Les animaux sont en effet des alliés de choix dans la collecte d’informations dans des zones reculées, pouvant permettre par exemple de solidifier les modèles de prévision météo. 

Prévenir des catastrophes

L’internet des animaux serait donc un outil d’aide météorologique, permettant de repérer plus efficacement des catastrophes naturelles à venir. Cela semble particulièrement utile, alors qu’un nouveau rapport de l’ONU explique que le monde pourrait bientôt connaître plus d’une catastrophe par jour.

Un exemple de cette contribution: les thons. Animaux en proie à une pêche lourde faisant craindre pour leur survie, ces derniers pourraient s’avérer être des alliés précieux pour estimer les origines d’ouragans. En effet, comme l’explique Romain Lorrillière “le suivi des thons a montré qu’ils vont chercher les eaux chaudes très poissonneuses) et qui sont à l’essence d’ouragans”. 

L’internet des animaux serait donc utile pour nous autres humains, mais évidemment aussi pour la biodiversité. Une étude publiée dans Nature explique par exemple que ce système pourrait permettre de prédire la présence de braconniers dans la savane africaine avec environ 86% de précision.

Une application équivalente existe en mer. Pour repérer les bateaux de pêche illégaux (qui naviguent sous les radars), une étude composée notamment de chercheurs français a utilisé des albatros comme sentinelles. Ces différents travaux sont expliqués plus en détail dans la vidéo ci-dessous du biologiste et vulgarisateur Léo Grasset: 

ne révolution?

Auparavant, les scientifiques acquéraient des connaissances plus difficilement, en accompagnant les animaux sur le terrain. Mais l’internet des animaux ne veut pas dire que tout deviendra informatisé, avec des chercheurs regardant des points sur un écran et ingurgitant des données satellitaires. Car il faudra toujours aller poser les balises, et se rendre compte de la réalité du terrain. 

Ainsi, Martin Wikelski, ornithologue à l’université de Washington affirme pour le NewYork Times que “cet éloignement physique (…) masque la connexion plus profonde que permet le suivi de la faune”. L’optimisme est donc de mise, alors que les balises ICARUS marquent pour les scientifiques un réel tournant dans l’analyse des écosystèmes et de la biodiversité.

Toujours dans le NewYork Times, Walter Jetz affirme que cela marque “une nouvelle ère de découvertes”, ajoutant que “nous allons découvrir de nouvelles voies de migration, de nouveaux besoins en matière d’habitat, des choses sur le comportement des espèces auxquelles nous n’avions même pas pensé”.