Les plus petites particules de plastique disséminées dans les océans finissent en nombre dans l’estomac des baleines. – Unsplash / Thomas Kelley
En filtrant des grandes quantités d’eau, certains cétacés sont particulièrement exposés aux microplastiques. Une nouvelle étude évalue à 10 millions les bouts de microplastiques ingérés chaque jour par les baleines bleues.
Funeste sort des baleines. Parce qu’ils filtrent des milliers de mètres cubes d’eau à travers leurs fanons, ces grands mammifères marins se retrouvent en première ligne de l’exposition aux microplastiques qui polluent les océans. Selon une nouvelle étude publiée dans Nature communications le 1ᵉʳ novembre 2022, la baleine bleue peut ingérer 10 millions de particules de plastiques de moins de 5 mm par jour. Sa cousine, la baleine à bosse — qui elle se nourrit de poissons — serait moins exposée, et ce malgré la contamination de ses proies. Son absorption quotidienne s’élève quand même à 200 000 particules.
Pour arriver à ces évaluations, l’équipe californienne autrice de l’étude a estimé les quantités de poissons ingérés, les volumes d’eau absorbée, les concentrations de microplastiques dans l’eau et dans les proies… Des informations obtenues en suivant plus de 200 spécimens pendant dix ans et en mesurant directement les différentes concentrations dans les eaux californiennes. Toutes ces données ont ensuite été intégrées dans un modèle qui permet aux chercheurs d’évaluer les quantités de particules de plastiques ingérées.
Les baleines bleues ingèreraient des millions de particules de plastique chaque jour. Domaine public / U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration
Si elle se distingue par son ampleur, cette étude n’est pas la première du genre. Plusieurs travaux scientifiques ont été réalisés dans différentes régions du monde, avec des estimations de quantités de microplastiques ingérés très variables, de la centaine aux millions de particules par jour. Une équipe de Nouvelle-Zélande a ainsi analysé pendant cinq ans les excréments des rorquals au large d’Auckland. Leurs résultats publiés en avril 2022 dans Science of the Total Environment estimait à 3 millions le nombre de particules de microplastique ingérées par jour.
« Les écarts d’ordres de grandeurs d’une étude à l’autre peuvent s’expliquer par les aires géographiques distinctes, les espèces de cétacés concernées, mais aussi les variations de concentrations de microplastiques dans l’océan », explique Céline Tardy de l’association Miraceti dédiée à la connaissance et à la conservation des baleines. La cétologue a étudié la contamination des rorquals par les phtalates en Méditerranée entre 2016 et 2019, des substances couramment utilisées comme plastifiants des matières plastiques : « Les concentrations en phtalates retrouvés étaient très variables d’un individu à l’autre la même année, dans la même aire géographique. »
Les effets sur la santé des cétacés de cette absorbtion massive de plastiques sont encore méconnus et inquiètent les scientifiques. © Jérémie Silvestro / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0
Une étude canadienne publiée en 2020, en collaboration avec des chasseurs inuits, s’est, elle, intéressée aux bélugas dans la mer de Beaufort. Résultat, la moitié des milliers de microplastiques retrouvés dans les cétacés étaient des fibres de polyester. Une grande partie des microplastiques retrouvés dans l’océan proviendrait en effet des vêtements synthétiques. Les microfibres libérées lors du lavage se retrouvent dans les eaux usées puis dans les océans.
Polyester et métaux lourds
Quant aux conséquences de cette contamination, elles restent largement inconnues. « À ma connaissance, on sait très peu de choses sur les impacts exacts des microplastiques sur la santé des baleines », convient Zhe Lu, professeur en écotoxicologie marine à l’Université du Québec à Rimouski, en charge d’un programme sur les microplastiques dans la Baie du Saint-Laurent.
Ce qui n’empêche pas les scientifiques de prévoir des effets toxiques. « En raison de leur nature lipophile, les microplastiques ont le potentiel d’absorber les polluants organiques persistants présents dans les régions contaminées. Comme par exemple, des métaux lourds, des polychlorobiphényles (PCB), des pesticides », précise Zhe Lu. Autre risque, la présence d’additifs reprotoxiques et perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A ou les phtalates dont les dégâts sanitaires sont connus sur un autre mammifère, l’humain.
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