Le froid en Europe lié à la chaleur en Arctique
La fonte des glaces dans l’océan Arctique a pour conséquences des vagues de froid et de neige en Europe occidentale, analyse une récente étude scientifique. Car sans banquise, l’eau s’évapore et l’air chargé d’humidité voyage.
Pour de nombreux viticulteurs français, la nuit du 7 avril 2021 fut une nuit blanche. Inquiets, ils se préparaient à la vague de froid intense et brusque en provenance de l’Arctique qui a frappé une grande partie de l’Europe. Le lendemain, les journaux montraient des photos de plusieurs vignobles, du Bordelais à la Bourgogne, parsemés de milliers de bougies. Des images spectaculaires, témoins d’une tentative désespérée de sauver les bourgeons naissants d’un choc thermique hors saison.
Ces anomalies thermiques ont pris naissance parmi les glaces du cercle arctique. Et bien que cela soit contre-intuitif, ces vagues de froid extraordinaires ont un lien avec le réchauffement de la planète. C’est ce qu’affirme une équipe de chercheurs dans une étude publiée en avril 2021 dans la revue scientifique Nature Geoscience. Ils ont montré une corrélation entre la fonte des glaces arctiques et les vagues de froid et de neige enregistrées plus au Sud. L’étude s’est notamment basée sur l’analyse d’une perturbation surnommée la « bête de l’est » qui a frappé l’Europe en mars 2018 et causé plus d’un milliard d’euros de dégâts et 95 victimes, des Balkans à la Scandinavie.
« Quand on parle de réchauffement climatique, on pense souvent que les températures sur Terre vont augmenter de manière homogène, comme si on réglait le thermostat d’une maison. En réalité, la dynamique du changement climatique est nettement plus articulée », explique à Reporterre le glaciologue Alun Hubbard de l’Université arctique de Norvège, l’un des auteurs de la recherche.
Un vigneron du domaine viticole de Luneau-Papin allume des bougies antigel dans le vignoble du Landreau, près de Nantes, le 12 avril 2021. © Sebastien Salom-Gomis/AFP
En 2017, Hubbard et une équipe de chercheurs, dirigée par la géochimiste Hannah Bailey de l’université d’Oulu, ont installé en Finlande un analyseur d’isotopes [1] capable de « renifler l’air » et la composition des particules dans l’atmosphère. Pendant la « bête de l’est », l’instrument a détecté l’empreinte géochimique des particules de vapeur en transit vers l’Europe, identifiant leur origine dans les eaux de la mer de Barents, une partie de l’océan Arctique située entre la Norvège, la Russie et les îles Svalbard.
La banquise forme un « couvercle » sur l’océan et retient ainsi l’évaporation de l’eau
« Dans les années 1970, la mer de Barents était complètement gelée en hiver, explique Hubbard, mais depuis 1979, elle a perdu 54 % de sa couverture ». La banquise forme une sorte de « couvercle » sur l’océan et retient ainsi l’évaporation de l’eau. Lorsque des courants d’air froid et sec passent au-dessus d’une zone couverte de glace, l’échange d’humidité est réduit au minimum. Mais quand cette couverture fond, l’échange de vapeur dans l’atmosphère est beaucoup plus intense, et l’air qui se dirige ensuite vers le Sud se charge d’humidité. « Pendant la « bête de l’est », plus de 60 % de la mer de Barents était dégagée des glaces en raison d’une période de chaleur supérieure à la moyenne au cours de la période précédant la tempête. Cela a permis aux courants aériens de se charger de 140 gigatonnes d’eau. 88 % de la neige qui est tombée ces jours-là dans le centre nord de l’Europe provenait de la mer de Barents », dit M. Hubbard.
Selon l’étude, chaque mètre carré de glace de mer fondue sur la mer de Barents a émis 70 litres d’eau dans l’atmosphère, « et si on calcule que depuis le début des années 80, cette zone a perdu un demi-million de mètres carrés de glace, on peut comprendre l’ampleur du phénomène », conclut le chercheur.