Fukushima nous a fait entrer dans l’ère du « capitalisme apocalyptique »

À en croire les partisans du nucléaire, tout va désormais bien à Fukushima et l’avenir de l’énergie atomique serait dégagé. À rebours de l’entreprise de normalisation du désastre et sa rentabilisation capitaliste, trois auteurs — Sabu Kosho, Cécile Asanuma-Brice et Thierry Ribault — proposent des clés de lecture autrement plus sombres et justes de cette catastrophe nucléaire.

Une décennie après Fukushima, les gouvernants et les autorités nucléaires voudraient nous faire croire que « l’incident » est clos et que la situation est désormais sous contrôle. La catastrophe, qui a entraîné l’exode de centaines de milliers des personnes et contaminé un pan entier du Japon, serait maintenant derrière nous, comme un lointain souvenir, assurent-ils. Elle ne saurait, en aucun cas, troubler la marche en avant du progrès ni remettre en cause l’avenir radieux de l’énergie atomique.

Aujourd’hui, on se doit d’être optimiste, rassurant. En France, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) vante dans son magazine de février, « les avancées mises en place depuis l’accident ». L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) plaide pour le retour des populations et certains nucléocrates entrevoient même l’occasion favorable de « créer un nouvel humanisme grâce à Fukushima ».

La catastrophe a perdu son caractère exceptionnel. Elle s’est normalisée, comme si elle n’avait finalement été qu’un détail de l’Histoire. Le Japon prépare sereinement les Jeux olympiques pour l’été prochain. Le gouvernement imagine même faire partir la flamme olympique de l’ancienne centrale nucléaire, où croupissent encore des tonnes de déchets radioactifs et où s’affolent les dosimètres. Entendez bien, le désastre est géré. La population ne doit pas s’inquiéter. Ou, plutôt, elle ne doit surtout pas se révolter.

« C’est l’un des plus grands désastres industriels de l’anthropocène »

Alors que l’anniversaire de Fukushima se profilait, trois nouveaux livres — Fukushima, dix ans après de Cécile Asanuma-Brice ; Contre la résilience de Thierry Ribault et Radiations et révolution de Sabu Kosho — viennent battre en brèche ce discours. Parus début mars, ils rappellent le caractère insoluble et terrifiant de cette catastrophe qui, malgré les dires de la filière, reste encore largement non maîtrisée. 300 tonnes d’eau contaminée s’écoulent chaque jour dans l’océan. 170.000 tonnes de déchets radioactifs générés par l’accident sont disséminées dans tout le Japon. Depuis 2011, on estime que près de 10 millions de personnes sont à la merci d’une exposition quotidienne au rayonnement ionisant. Au total, plus de 170.000 personnes ont été déplacées. On compte officiellement 2.267 morts liés directement ou indirectement à l’évacuation qui a suivi la débâcle nucléaire.

« C’est l’un des plus grands désastres industriels de l’Anthropocène », écrit ainsi la sociologue Cécile Asanuma-Brice. Avec la radioactivité, le poison est invisible, mais les traces laissées sur le territoire sont indélébiles. Comme des plaies béantes. Dans la région, pour tenter de décontaminer les sols gorgés de césium 137 — un élément radioactif — la terre a été décapée. La surface du sol a été raclée sur cinq centimètres par des bulldozers, avant d’être entreposée dans des millions de sacs stockés dans des entrepôts et en plein air. Des arbres ont été arrachés, des forêts rasées.