Photo chapô : Des poissons morts sur les rives de la Mar Menor, photographiés par Greenpeace le 19 août 2021. © Greenpeace/Pedro Martínez
Des tonnes de poissons morts sont de nouveau apparues sur les rives de la Mar Menor, en Espagne, en août. Alors que cet épisode, causé par la pollution de l’agriculture intensive, a été plus intense que celui de 2019, les pouvoirs publics tardent à prendre les mesures nécessaires.
Madrid (Espagne), correspondance
Tout le monde était prévenu. Cela n’a pas évité l’hécatombe. Depuis le 17 août, 5 tonnes de poissons et autres crustacés sont venus agoniser sur les rives de la Mar Menor (la « mer Mineure »), l’une des plus grandes lagunes d’Europe, dans la région de Murcie, dans le sud-est de l’Espagne. La pollution liée à l’agriculture intensive qui prospère dans la zone avait déjà provoqué un épisode similaire en 2019. Les déversements d’engrais avaient entraîné l’asphyxie de la faune qui peuple cet écosystème unique et jeté des milliers de poissons morts sur ses berges. Selon les associations écologistes, les causes du désastre sont parfaitement connues. Les solutions aussi. Mais rien n’a bougé depuis 2019, ou si peu…
« Quand les engrais finissent dans la lagune, ils provoquent une explosion de vie, surtout d’algues vertes, qui grandissent grâce aux nutriments, à la chaleur et au soleil. Mais ces algues ont besoin d’oxygène pour vivre. Cela débouche sur une situation d’anoxie (manque d’oxygène) : les algues consomment l’oxygène disponible et les autres animaux qui peuplent ces eaux ne peuvent plus respirer », explique Julio Barea. Docteur en hydrogéologie, il est responsable de la campagne Eau chez Greenpeace Espagne, qui a publié le 25 août dernier un rapport signalant la cause principale de la situation dans la Mar Menor.
Selon ce rapport, le grand coupable est le transfert artificiel de l’eau du Tage, fleuve qui coule bien plus dans le nord du pays, vers la Murcie, pour arroser depuis 1979 les cultures. « Dans les champs de Carthagène, proche de la Mar Menor, une agriculture industrielle intensive s’est développée grâce à cette ressource. Pour avoir trois récoltes par an, les exploitants utilisent beaucoup d’engrais chimiques, principalement à base de nitrates et de phosphates. Il y a aussi un excès d’eau, qui provient essentiellement du Tage. » Cette eau se charge de nitrates et de phosphates en passant par les terres cultivées, puis va gonfler les aquifères et cours d’eau qui alimentent la Mar Menor.
Déclin depuis 2019
Cette situation ne prend personne par surprise. En mai 2016, la branche espagnole de WWF et l’Association de naturalistes du Sud-Est (ANSE) avaient sonné l’alarme en diffusant des images des eaux de la lagune. D’ordinaire cristallines, elles s’étaient alors changées en une sorte de « soupe verte ». Premier avertissement. Le suivant est arrivé en 2019 : 3 tonnes de poissons et crustacés morts par asphyxie avaient été ramassées sur les bords de la lagune. Mais l’épisode de cet été a battu ce triste record.
Un poisson échoué se décompose sur un rivage de La Manga (Murcia, Espagne), le 25 août 2021. © AFP/Jose Miguel Fernandez
Du côté des pouvoirs publics, le gouvernement régional, aux mains du Parti populaire (PP, droite), et l’exécutif national, dirigé par le socialiste Pedro Sánchez, se renvoient mutuellement la faute. « Depuis 2019, nous avons fait tout ce qui relevait de nos compétences pour affronter cette situation, assure Miriam Pérez, chargée de la Mar Menor au gouvernement régional de Murcie. Mais il y a une attitude de rejet de la part du gouvernement central envers nos initiatives. Les compétences les plus importantes pour affronter ce problème sont entre les mains du ministère de la Transition écologique. » Le président régional, Fernando López Miras, réclame plus de compétences pour la région. Pour sa part, Teresa Ribera, ministre de la Transition écologique, qui estime que le gouvernement régional dispose des compétences nécessaires, demande de la coopération et insiste sur la condamnation des pratiques illégales dans l’agriculture.
En attendant, la situation s’est dégradée depuis 2019, constate Greenpeace. Pour l’ONG, les solutions sont pourtant connues. Cesser de transférer l’eau du Tage vers les champs de Carthagène. Nettoyer les aquifères pollués. Revenir à un modèle d’agriculture durable. « Les solutions proposées par le ministère et le comité d’expert étaient adéquates. Mais la semaine dernière, Teresa Ribera s’est rendue sur place et en est sortie avec des propositions différentes », déplore Julio Barea.
« Tout le monde a regardé ailleurs et a cherché à mettre en place les mesures les plus faciles et spectaculaires, dit Luis Suárez, biologiste et coordinateur chargé de la conservation pour WWF Espagne. Mais cela ne règle pas le problème, qui est l’agriculture industrielle et intensive, dont une partie est illégale. C’est un sujet majeur nécessitant des décisions fortes. Jusque-là, personne n’a voulu le faire. »
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