L’Union internationale pour la conservation de la nature tient son congrès mondial du 3 au 11 septembre à Marseille. Les acteurs de la préservation de la biodiversité se retrouveront pour accorder leurs voix et tenter de peser sur les décideurs politiques et économiques. Le but : interrompre le processus d’effondrement du vivant.
J-1 : moment-phare pour la préservation de la biodiversité, le Congrès mondial de la nature se tiendra à Marseille, du vendredi 3 au 11 septembre prochains. Organisé tous les quatre ans par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), il est présenté comme « l’événement environnemental le plus important au monde » — rien que ça ! Sur le site du sommet, on annonce plus de 10 000 participants et des décisions « qui influenceront les politiques mondiales de conservation pour la prochaine décennie ». Mais à quoi s’attendre précisément ? Reporterre vous donne quelques clés de compréhension de ce congrès majeur, à mi-chemin entre une COP, une exposition universelle et une session du Giec.
- Qu’est-ce que l’UICN?
Il s’agit d’une organisation internationale originale, qui réunit des associations, des agences gouvernementales et des États, ainsi qu’un réseau d’experts — scientifiques ou non. « C’est le lieu où se retrouvent tous les spécialistes et acteurs de la conservation de la nature », dit Maud Lelièvre, présidente du comité français de l’UICN. Cette branche hexagonale réunit ainsi des ONG environnementales telles que le WWF ou France Nature Environnement (FNE), des agences publiques comme l’Office national de la biodiversité (OFB), mais également des représentants des ministères de l’Écologie ou des Affaires étrangères.
« C’est une organisation hybride, avec un côté très scientifique et un autre politique », précise Arnaud Gauffier, du WWF. En 1961, son ONG — le World Wild Fund for nature (WWF) — a d’ailleurs été fondée pour soutenir financièrement les actions portées par l’UICN, créée pour sa part en 1948. À ses débuts, l’organisation s’est surtout consacrée à la protection de la faune et de la flore : elle a ainsi mis en place la Liste rouge des espèces menacées, devenue depuis « un outil indispensable et l’inventaire le plus complet sur l’état des espèces à l’échelle mondiale », dit Mme Lelièvre. L’UICN s’intéresse également de près à la conservation des écosystèmes. Elle s’est donc dotée d’un référentiel afin de catégoriser les aires protégées en fonction du degré de protection qu’elles renferment — les parcs nationaux français sont par exemple classés dans la catégorie n°1, la « meilleure ». « On établit aussi une liste verte recensant les aires les plus protectrices, explique Mme Lelièvre. On en compte 59 aujourd’hui à travers le monde, dont 22 en France ! »
Le quartier général de l’UICN à Gland, en Suisse. Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0 / Erich Iseli
Coordinatrice du réseau Forêts de FNE, Adeline Favrel participe aux commissions et groupes de travail de l’UICN sur ce sujet : « C’est une instance intéressante, où l’on peut débattre du fond, échanger avec des scientifiques mais aussi avec des représentants du gouvernement, sans être dans un jeu de posture ou de rapport de force, dit-elle. Par contre, ce n’est pas là que des décisions importantes seront prises. » Ainsi, le comité français de l’UICN a adopté une proposition détaillée contre la déforestation importée, recommandant entre autres aux États de « mettre en place une fiscalité différenciée, en taxant davantage des produits agricoles impliqués dans la déforestation […] et en [supprimant] les régimes fiscaux favorables aux agrocarburants »… sans pour autant que le gouvernement français ne s’engage dans la mise en œuvre de ces dispositions.
Outre ces travaux au long cours, « les prises de position et les travaux des membres de l’UICN ont une influence sur les politiques environnementales mondiales », poursuit Mme Lelièvre, en citant l’exemple du trafic d’espèces : c’est en effet suite aux travaux de l’organisation sur ce sujet qu’une convention internationale sur le commerce d’espèces protégées a été adoptée, la Cites. De la même manière, l’institution a joué un rôle central dans l’élaboration de plusieurs conventions internationales de premier plan, dont la Convention de Ramsar sur les zones humides ou la Convention du patrimoine mondial.
- À quoi va servir ce Congrès mondial?
Pour nombre de participants, ce sommet doit être « le coup d’envoi du momentum international pour la biodiversité », selon les mots d’Arnaud Gauffier. Le congrès prend en effet place quelques mois avant la COP26 sur le climat et la COP15 sur la biodiversité — prévue en Chine début 2022. Pour autant, rien de décisif n’est à attendre de cette séquence marseillaise, et pour cause : les motions votées par l’UICN sont des recommandations plus que des dispositions contraignantes. « Le sommet permet quand même de préparer le terrain, d’amorcer le dialogue et les négociations », estime Maud Lelièvre. Une sorte de pré-COP.
« Nous sommes au cœur d’une urgence planétaire, la nature décline à l’échelle mondiale à un rythme sans précédent dans l’histoire de l’humanité, et la pandémie de Covid-19 nous a rappelé brutalement à quel point nous dépendons de la nature, nous rappelle par courriel le directeur général de l’UICN, Bruno Oberle. Nous avons besoin d’un changement complet de notre mode de vie actuel, et d’une action décisive à grande échelle. » D’après lui, le sommet « peut être un moment important de cette transformation, car il offre un lieu où les gouvernements, les entreprises, le monde universitaire et la société civile peuvent travailler ensemble sur des solutions ».
« Les motions adoptées sont souvent des vœux pieux. Mais elles ont le mérite d’exister et de donner un cadre de travail aux négociateurs. »
Ainsi, lors de l’Assemblée des membres de l’UICN, du 8 au 10 septembre, une trentaine de motions [1] ainsi qu’une déclaration finale devraient être adoptées, qui esquisseront une feuille de route possible pour stopper l’effondrement du vivant. « On va discuter lutte contre la déforestation ou contre le trafic d’espèces menacées, création et renforcement d’aires protégées, protection des écosystèmes qui stockent du carbone, énumère Mme Lelièvre. On espère que dans la déclaration finale, l’UICN demandera officiellement à tous les États que 10 % des 13 milliards d’euros prévus pour la relance post-Covid soient consacrés à la nature. » « L’UICN est moins écoutée des politiques qu’il y a quelques décennies, regrette M. Gauffier. Aujourd’hui, les motions adoptées sont souvent des vœux pieux. Mais elles ont le mérite d’exister et de donner un cadre de travail aux négociateurs. » Pour Bruno Oberle, « les décisions de l’UICN reflètent un consensus démocratique au sein de la communauté de la conservation qui a beaucoup de poids », écrit-il à Reporterre.
Avec d’autres, France Nature Environnement (FNE) porte six motions — contre la déforestation et l’artificialisation des sols, pour les « alternatives à l’utilisation des pesticides de synthèse ». « Ce ne sont pas les motions en elles-mêmes qui font bouger les choses, mais elles nous donnent des arguments et du crédit pour ensuite aller faire pression auprès des dirigeants », explique Alexis Vannier, directeur de la communication et du plaidoyer de l’association.
Carte postale commémorative de la quatorzième assemblée générale de l’UICN en 1978 à Ashgabat (Turkménistan, alors en URSS). Domaine public / Wikimedia Commons
Finalement, ce n’est pas tant dans les couloirs de l’Assemblée qu’auront lieu les principales avancées que dans les allées du Forum, qui se tiendra du 4 au 7 septembre. Des centaines de tables rondes, de conférences, d’ateliers vont se succéder tous azimuts : préservation des grands singes, impact des industries minières, aires marines protégées, espèces invasives… « C’est le moment où tous les acteurs de la conservation se retrouvent, dit Mme Lelièvre. On peut élaborer des plans d’action ensemble, échanger sur les recherches en cours, faire avancer des projets. » Le comité français entend ainsi créer un réseau de coopération sur les aires protégées, et animera une réunion d’experts autour de la lutte contre le trafic d’animaux sauvages.
Le sommet fait aussi figure de congrès scientifique, avec nombre de chercheurs présents : « Cet événement constitue une arène différente pour les débats sur la conservation de la nature, avec l’intérêt notamment de donner la parole à des groupes issus de la société civile qui ne l’ont pas souvent », souligne Didier Bazile, chercheur au Cirad et coanimateur de la thématique de recherche prioritaire Biodiversité.
Côté WWF, on espère en profiter pour faire pression sur les banques publiques de développement — qui tiendront des stands lors du Forum — « afin qu’elles s’engagent à financer davantage les actions et programmes en faveur de la biodiversité », dit Arnaud Gauffier. Pour les associations membres de FNE, c’est un peu leur « Fête de l’Huma », un moment de retrouvailles et d’échanges : « C’est une vitrine pour visibiliser et médiatiser nos combats », dit Adeline Favrel. Outre ces réunions d’experts, un large espace sera ouvert au public, avec des expositions, des projections ou des ateliers ludiques.
Enfin, ce congrès organisé en France sera aussi l’occasion de tirer un bilan de la politique environnementale d’Emmanuel Macron, qui viendra en personne inaugurer cette grand-messe. « Le président viendra porter trois messages, fait-on savoir à l’Élysée. Pour une relance verte qui s’appuie sur la nature ; pour un cadre mondial pour la biodiversité ambitieux ; pour une reconnaissance de l’urgence climatique et la contribution de la nature dans la lutte contre le changement climatique. » L’opportunité pour le chef de l’État de se poser à nouveau en leader vert. Mais certaines associations ont d’ores et déjà pointé les contradictions du gouvernement : « En France, les aires protégées manquent de moyens, et la création de parcs nationaux ne cache pas l’absence de ressources pour assurer leurs missions, dénonce par exemple Extinction Rebellion. En mer, on parle même de “Parc de papier”, des aires protégées qui ne le sont que de nom. »
- Quels sont les points qui font débat?
En parallèle du Congrès mondial, plusieurs associations entendent jouer les trouble-fête. « Une motion polémique sera particulièrement suivie, note ainsi Inf’OGM, celle sur la biologie de synthèse, dont fait partie le forçage génétique. » L’un des aspects discutés au sein de l’UICN est de savoir si cette technique est une option pertinente pour la préservation de la biodiversité. « Le forçage génétique pourrait permettre de supprimer des populations d’espèces considérées comme envahissantes en biaisant le ratio sexuel ou en altérant leur fertilité », assure le site d’information, qui s’interroge : « L’humanité peut-elle s’autoriser à manipuler le vivant pour… le “préserver” en dépit des enjeux environnementaux, sanitaires et socio-économiques sous-jacents ? »
Ainsi, malgré un apparent consensus — tant scientifique que politique — sur les questions de biodiversité, de nombreux sujets abordés lors du sommet font débat. « C’est l’occasion pour nous de questionner la manière dont se fait la conservation de la nature », dit Fiore Longo, de Survival International. Avec d’autres associations, son ONG organise, les 2 et 3 septembre, un « congrès alternatif », intitulé « Notre terre, notre nature », « qui mettra en lumière l’opposition mondiale aux tentatives de gouvernements, de l’industrie de la conservation de la nature et de grandes ONG de transformer 30 % de la planète en “aires protégées” ». Autre sujet de débat, battu en brèche lors de ce contre-sommet, les « solutions fondées sur la nature », largement promues par l’UICN, mais « qui posent une valeur marchande sur la nature et constituent une fausse solution pour lutter contre le changement climatique », selon Survival International.
« C’est l’opportunité de montrer ce qui se fait réellement sur le terrain, les vols des terres, les violations des droits humains commises au nom de la conservation de la nature, dit Mme Longo. Depuis des décennies, l’UICN et les gouvernements ne parviennent pas à répondre à la crise écologique, alors que depuis des siècles voire des millénaires, des peuples autochtones et des communautés locales ont su préserver leur lieu de vie. » L’ONG, qui défend la reconnaissance des droits des peuples autochtones, veut créer « une coalition d’organisations et de peuples pour la justice sociale et environnementale ». À ses côtés, Extinction Rebellion entend ainsi se mobiliser toute la semaine, en vue notamment de « dénoncer le greenwashing » — Nutella et Veolia font partie des sponsors officiels de l’événement : « Alors que nous assistons à la sixième extinction de masse du vivant, l’heure n’est plus aux effets d’annonce, mais à des prises de décisions radicales », estime le mouvement.
C’est maintenant que tout se joue…
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