Un manifeste pour la protection de l’environnement, des motions adoptées pour protéger 80 % de l’Amazonie, lutter contre la déforestation importée ou préserver les océans. Après une semaine de débats, les membres de l’UICN sont parvenus à un consensus, qui servira de feuille de route dans les prochaines échéances internationales.
Tombée de rideau sur le parc Chanot, à Marseille. Après une semaine d’intenses débats, le Congrès mondial de la nature s’est terminé, vendredi 10 septembre au soir. La déclaration finale, « Le manifeste de Marseille », se veut porteur d’espoir face à l’effondrement du vivant :
« L’humanité a atteint un point de bascule (…) La « réussite » économique ne saurait plus se faire aux dépens de la nature. Nous avons de toute urgence besoin de réformes systémiques (…) Pourtant, il y a lieu d’être optimiste. Nous sommes parfaitement capables d’opérer des changements transformateurs, et vite. Pendant la pandémie, nous avons changé nos comportements afin de protéger notre santé et celle de ceux qui nous entourent. »
Cette déclaration, adoptée par l’assemblée des membres de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) — qui regroupe aussi bien des gouvernements que des associations ou des centres de recherche — donne le la des futures négociations internationales sur la biodiversité, censées se tenir en avril 2022 en Chine. En creux, elle dessine une nouvelle vision de la protection de l’environnement, estime Didier Bazile, chercheur au Cirad, un centre de recherche membre de l’organisation : « On n’est plus dans une approche uniquement centrée sur la conservation des espèces ; des liens sont faits avec le changement climatique, l’agriculture et la santé, explique-t-il. Surtout, il y a désormais un consensus sur l’importance vitale de la biodiversité et de sa préservation pour le bien-être global. » Autrement dit, la biodiversité est entrée de plain-pied dans l’agenda politique international. « Ce congrès a permis de mettre les points sur les i, dit aussi Pierre Cannet, du WWF. Il a réussi à proposer des solutions concrètes pour répondre à l’urgence. »
Car au-delà de ce manifeste, plus d’une centaine de motions ont été adoptées, qui sont autant de recommandations pour enrayer la crise écologique. « L’UICN est une courroie de transmission entre le monde scientifique et associatif d’un côté, et le monde politique et économique de l’autre, explique François Chartier, chargé des campagnes Océans à Greenpeace. Elle porte des positions qui font globalement consensus, qui sont appuyées sur des recherches, et qui sont autant d’appels à agir. » Ainsi, si ces motions adoptées n’ont rien de contraignant, elles n’en ont pas moins une influence politique : « En 2016, lors du dernier congrès, une résolution appelait à protéger 30 % des océans, rappelle M. Chartier. Aujourd’hui, cette proposition est à l’agenda de la COP15 sur la biodiversité. »
La position ambigüe du gouvernement français
Parmi les motions adoptées, certaines portent en effet de vraies avancées potentielles. « Sur les forêts, nous avons adopté une résolution demandant à protéger 80 % de l’Amazonie, se réjouit Pierre Cannet. Une autre porte sur la lutte contre la déforestation importée et une autre encore sur la préservation des forêts primaires et matures en Europe, dont certaines sont fortement dégradées. » M. Bazile retient pour sa part plusieurs motions qui poussent à un changement de modèle agricole, en promouvant les alternatives aux pesticides de synthèse ou en incitant à un changement des systèmes alimentaires.
L’une des motions vise à protéger 80 % de la forêt amazonienne. Flickr/CC BY-NC-ND 2.0/Cifor/Neil Palmer/CIAT
Sur les océans, le programme paraît même complet : l’UICN invite à protéger un tiers des mers, à lutter contre la pollution plastique, à préserver particulièrement les cétacés et à voter un moratoire contre l’exploitation minière des fonds marins. « Après, il faut voir comment ces motions vont être — ou non — concrétisées, met en garde Pierre Cannet. Il ne faut pas qu’elles restent au placard, et cela dépendra de la mobilisation des ONG comme des États. »
À ce titre, le gouvernement français a joué un rôle ambigu, se posant une nouvelle fois comme un leader vert, mais restant flou quant aux actions concrètes, relève Jean-David Abel, de France Nature Environnement (FNE) : « Ce congrès mondial se tient à quelques mois d’échéances internationales importantes, la COP26 sur le climat et la COP15 sur la biodiversité, souligne-t-il. On aurait pu imaginer, pour une fois, que le gouvernement annoncerait des mesures plus carrées, plus précises. Mais il n’y a rien eu de nouveau. » Même l’annonce sur les 5 % d’aires marines protégées en Méditerranée le laisse sceptique : « Sans moyens, elles resteront sur le papier. » Plus globalement, la France a manqué les occasions de montrer une véritable ambition pour les mers, comme l’explique François Chartier : « Elle s’est par exemple abstenue sur le moratoire contre l’exploitation minière des océans, parce que le gouvernement a adopté il y a quelques mois une Stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins. »
Dans l’une des motions, l’UICN invite à lutter contre la pollution plastique dans les océans. Flickr / CC BY-NC 2.0 / Robert Vicol
Déceptions sur la biologie de synthèse
Tout ne fait donc pas consensus au sein de l’UICN. Ainsi, les membres se sont écharpés jusque vendredi soir quant à l’adoption de la motion 75, à propos de la biologie de synthèse. « Les débats ont été très vifs, car il s’agit d’une question centrale pour l’avenir de la conservation, relate Estienne Rodary, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui a suivi les discussions. Certains y voient une pente très dangereuse, car on ne sait absolument pas les impacts que pourrait avoir l’éradication des moustiques dans certaines zones de la planète. Mais pour d’autres, on ne pourra pas se passer de ces solutions technologiques. »
Autres déceptions, pour Didier Bazile, certains sujets n’ont pas ou peu été abordés : « L‘importance de la diversité génétique [c’est-à-dire la diversité des individus au sein même d’une espèce] n’est pas vraiment prise en compte, remarque-t-il. On est aussi en retard sur les questions de gouvernance : quelle réelle participation des communautés locales et des peuples autochtones et quel poids dans les prises de décision ? » La place — marginale — des peuples autochtones avait été dénoncée en début de congrès par plusieurs organisations, lors d’un contre-sommet et d’une manifestation.
Les participants au congrès de l’UICN sont donc repartis de Marseille la besace pleine de propositions. « Elles devront servir de feuille de route dans les prochaines échéances internationales, dit François Chartier, présentant un menu bien chargé :Une conférence pour la préservation de l’Antarctique fin octobre, la COP26 pour le climat, le One Ocean Summit annoncé par Macron en janvier 2022, puis une conférence sur les fonds marins, avant la COP15 sur la biodiversité, en avril 2022. » Le travail ne fait que commencer.
C’est maintenant que tout se joue…
La communauté scientifique ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental qui s’accélère et s’aggrave, la population est de plus en plus préoccupée, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale et quotidienne dans le traitement de l’actualité.
Contrairement à de nombreux autres médias, nous avons fait des choix drastiques :
- celui de l’indépendance éditoriale, ne laissant aucune prise aux influences de pouvoirs. Reporterre est géré par une association d’intérêt général, à but non lucratif. Nous pensons qu’un média doit informer, et non être un outil d’influence de l’opinion au profit d’intérêts particuliers.
- celui de l’ouverture : tous nos articles sont en libre accès, sans aucune restriction. Nous considérons que l’information est un bien public, nécessaire à la compréhension du monde et de ses enjeux. Son accès ne doit pas être conditionné par les ressources financières de chacun.
- celui de la cohérence : Reporterre traite des bouleversements environnementaux, causés entre autres par la surconsommation, elle-même encouragée par la publicité. Le journal n’affiche donc strictement aucune publicité. Cela garantit l’absence de lien financier avec des entreprises, et renforce d’autant plus l’indépendance de la rédaction.
En résumé, Reporterre est un exemple rare dans le paysage médiatique : totalement indépendant, à but non lucratif, en accès libre, et sans publicité.
Le journal emploie une équipe de journalistes professionnels, qui produisent chaque jour des articles, enquêtes et reportages sur les enjeux environnementaux et sociaux. Nous faisons cela car nous pensons que la publication d’informations fiables, transparentes et accessibles à tous sur ces questions est une partie de la solution.
Vous comprenez donc pourquoi nous sollicitons votre soutien. Des dizaines de milliers de personnes viennent chaque jour s’informer sur Reporterre, et de plus en plus de lecteurs comme vous soutiennent le journal. Les dons de nos lecteurs représentent plus de 97% de nos ressources. Si toutes les personnes qui lisent et apprécient nos articles contribuent financièrement, le journal sera renforcé. Même pour 1 €, vous pouvez soutenir Reporterre — et cela ne prend qu’une minute. Merci.