Comment 24 lapins venus d’Angleterre ont envahi l’Australie

Par LOÏC CHAUVEAU

C’est bien le débarquement de 24 lapins le jour de Noël 1859 qui est à l’origine de la pullulation de l’animal dans toute l’île-continent. Sans une infime mutation génétique, cette conquête n’aurait jamais pu avoir lieu.

Surpopulation des lapins en Australie : voiture passant au milieu d’une bande de lapins. Gravure publiée dans « La Nature : revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie » le 24 mars 1888.

Leemage via AFP

 

C’est une histoire bien connue des Australiens que vient de confirmer une équipe internationale de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), et de l’Institut CIBIO du Portugal dans les PNAS. Les millions de lapins qui ravagent leur agriculture proviennent bien d’un seul et même arrivage de 24 Oryctolagus cuniculus dûment enregistrés le 6 octobre 1859 à bord du Lightning, un navire en partance d’Angleterre. Ces animaux provenaient de la propriété de William Austin à Baltonsborough dans le Sumerset (Angleterre) et étaient destinés à agrémenter le parc Barwon de son frère Thomas situé à Geelong dans l’Etat de Victoria sur l’île-continent.

Arrivés le jour de Noël, les 13 lapins d’origine qui sont devenus 24 grâce aux naissances au cours du voyage, débarquent pour entamer la plus grande invasion biologique jamais vue dans l’histoire récente de la planète. La progression est en effet fulgurante. L’espèce conquiert 100 kilomètres par an et n’est arrêtée ni par les espaces désertiques, ni par le manque d’eau. Les barrières posées par les agriculteurs ne les ont pas stoppés non plus que des mesures plus radicales comme l’introduction du virus de la myxomatose. Les Australiens constatent aujourd’hui qu’ils ne pourront plus jamais s’en débarrasser, déplorent un impact réel sur les espèces endémiques de flore et de faune et doivent supporter plus de 200 millions d’euros de dégâts annuels sur les cultures.

Une espèce originaire de la péninsule ibérique

Le récit d’une seule arrivée bien documentée restait cependant discutée. Des études ont ainsi affirmé qu’il y a eu plusieurs apports de populations permettant à l’espèce de s’adapter à son nouveau milieu semi-désertique. Après tout, les livres de bord des navires anglais indiquent que les cinq premiers lapins ont été débarqués en 1788 et que jusqu’en 1859, 90 importations ont eu lieu sans que les rongeurs prolifèrent. Pourquoi en serait-il autrement pour les seuls spécimens de Noël 1859 ? C’est à cette question que répond l’étude.

Les chercheurs de Cambridge se sont associés à l’Institut CIBIO du Portugal pour pouvoir comparer l’ADN de lapins européens anciens avec celui des australiens. Le choix de l’institut portugais s’explique : la péninsule ibérique est le lieu d’origine de l’espèce avant son expansion vers la France à la fin de l’ère glaciaire, il y a plus de 10.000 ans. C’est en France au Moyen-Age qu’a commencé l’exploitation de l’espèce sauvage par la création d’enclos appelés garennes. L’espèce a colonisé le Royaume-Uni au 13ème siècle seulement. Et il a donc fallu une seule famille anglaise pour que le lapin envahisse l’Australie. C’est ainsi que les génomes d’ancêtres ibériques, français et anglais ont été comparés à ceux des actuels habitants de l’île. « Nous avons réussi à retracer l’origine de la population invasive d’Australie au sud-ouest de l’Angleterre, là où la famille Austin a capturé les lapins en 1859, affirme Joel Alves, chercheur à l’Université d’Oxford et principal auteur de l’article des PNAS dans le communiqué de son université. Nos travaux montrent que malgré de multiples introductions à travers l’Australie, cette seule arrivée anglaise est la cause de cette dévastatrice invasion biologique dont les effets se font toujours sentir aujourd’hui ».

Une mutation génétique explique l’adaptation au climat

Pourquoi ceux-là ? Une explication vient tout de suite à l’esprit. Selon les registres des navires, les lapins arrivés avant 1859 étaient largement domestiqués et pour certains servaient d’animaux de compagnie. Ils n’avaient vraisemblablement pas les aptitudes pour survivre au rigoureux climat australien. En revanche, William Austin a pourchassé des lapins sauvages sur son domaine et récupéré chez des fermiers des animaux capturés pour être mangés. Les chercheurs sont cependant allés plus loin que ces témoignages anciens. Ils ont repéré dans l’ADN des lapins ancestraux et de leurs descendants australiens la même mutation génétique offrant un avantage adaptatif au climat qui expliquerait le succès reproductif de l’animal. Avec aussi peu de spécimens d’origine, cette mutation est rapidement devenue dominante dans la population.

Pas grand-chose en définitive pour des conséquences d’une telle ampleur. « Ces découvertes comptent parce que les invasions biologiques constituent une menace majeure pour la biodiversité et si vous voulez les empêcher, vous devez comprendre ce qui les fait réussir », assure Joël Alves. Et le chercheur de conclure : « Nous devons aussi nous rappeler que l’action d’une personne ou d’un petit groupe seulement peut avoir des effets dévastateurs sur l’environnement ».

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