L’étonnante installation d’un oiseau africain dans le Languedoc

Petit migrateur des savanes et forêts tropicales africaines, un martinet cafre a élu domicile dans les causses du Minervois. Une apparition inédite en France, qui titille la curiosité des ornithologues.

Minerve (Hérault), reportage

Le souffle de la brise porte l’odeur enivrante de la garrigue. Frôlant les genévriers et chênes kermès, une trentaine de martinets noirs s’adonnent aux plus périlleuses acrobaties. Depuis son nid, un monticole merle-bleu, passereau au plumage bleu-gris, observe ce ballet aérien. Soudain, une exclamation : « Oh je l’ai ! »

Un trille gazouillant a attiré l’attention de Thomas Vulvin. Jumelles clouées aux yeux, l’ornithologue héraultais de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) se précipite maladroitement d’une extrémité à l’autre du sommet de la falaise. L’oiseau tant convoité, une tache noire parmi tant d’autres, fend l’air à toute vitesse, et disparaît soudain dans une cavité. Bingo ! L’écologue sait désormais où niche le nouveau venu.

thomas vulvin

Thomas Vulvin : « Le martinet cafre passe sa journée en haute altitude, pour chasser. » © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Ancien bastion cathare, le village de Minerve et ses majestueuses gorges, creusées par le lit de la Cesse, héberge une espèce d’oiseaux migrateurs jusqu’alors étrangère aux contrées françaises : le martinet cafre (Apus caffer).

Petit volatile à l’allure d’un boomerang, il arbore une courte queue fourchue. Deux petites taches blanches, à la gorge et au croupion, contrastent son manteau noir. « Pour la petite histoire, on doit sa découverte à un touriste belge, ornithologue dans l’âme, raconte Thomas Vulvin. En juillet 2020, il zieutait les martinets noirs, et soudain, il a aperçu d’inhabituelles petites fesses blanchâtres. »

La patience des écologues

Ce spécimen s’était-il égaré ? Allait-il revenir à la prochaine saison estivale ? Deux années durant, les écologues héraultais ont dû faire preuve de patience. Pourtant voilà qu’à l’été 2022, le petit baroudeur d’Afrique subsaharienne réapparut. Et bis repetita, cette année.

« Bon, ne volons pas la vedette aux Corses, sourit l’écologue. Je ne voudrais pas me fâcher avec eux. » Si aucun spécimen n’avait encore pris ses quartiers d’été en France continentale, une première nidification avait toutefois été observée en Haute-Corse l’an passé.

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Le martinet cafre se distingue grâce à ses taches blanches. CC NY 2.0 / Derek Keats / Wikimedia Commons

Thomas Vulvin abandonne les vignes du plateau calcaire, et s’engouffre dans le canyon. « Ce chemin ne doit pas être référencé dans le Guide du Routard, concède-t-il, les mollets déjà couverts de griffures. Ou alors, celui des renards et des sangliers. »

Enfant, devant son poste de télévision, il rêvait d’étudier les grands prédateurs. « Manque de chance, il n’y a pas de tigres en France. » Chemin faisant, l’avifaune devint son péché mignon et, au retour d’un tour d’Europe en stop, il intégra la LPO de l’Hérault.

« Peut-être s’est-il trompé de famille ? »

Si les martinets noirs, grégaires, forment de vastes colonies avant d’entreprendre la traversée de l’Afrique, l’arrivée dans le Haut-Languedoc de ce martinet cafre demeure mystérieuse. « Peut-être s’est-il trompé de famille par mégarde ? », s’interroge Thomas Vulvin. Et pourquoi seul ? N’a-t-il pas de partenaire ?

Ces questions resteront sans réponse. Il n’existe en France aucun spécialiste de l’espèce : « Pour l’instant, on se repose sur les données issues des sciences participatives pour en savoir un peu plus. L’observer chez nous est si rare que de nombreux passionnés viennent surveiller ses vas-et-viens. »

 

Dans le ciel minervois, les faucons hobereaux et pèlerins sont les prédateurs du voltigeur. © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Historiquement cantonnée aux savanes arides et forêts équatoriales de l’Afrique subsaharienne, l’aire de répartition de l’animal au croupion blanc s’étend doucement vers le nord et la broussaille méditerranéenne.

Observé au Maroc au début du XXᵉ siècle, il a conquis la péninsule ibérique par le détroit de Gibraltar dès 1966, et semble encore poursuivre son ascension. La hausse des températures et la disparition de ressources en sont-elles responsables ?

« Rien n’est moins sûr, affirme au téléphone Jocelyn Champagnon, chercheur à la Tour du Valat, centre d’études travaillant sur les migrateurs. Les populations victimes du changement climatique ont rarement la force de fuir vers les régions moins hostiles. Elles se cassent la gueule à domicile, comme le héron pourpré en Camargue. » Autrement dit : si des martinets cafres débarquent ici, le temps d’un été, ce serait plutôt par opportunisme.

Disparition des insectes

D’après la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dressée en 2018, l’état de conservation du martinet cafre ne fait l’objet que d’une préoccupation mineure. Si la population européenne est estimée à 110 ou 200 couples, celle-ci constitue seulement 5 % de l’aire de répartition mondiale de l’espèce.

Toutefois, l’usage croissant des insecticides pourrait à terme menacer leur survie. En trente ans, les populations d’insectes ont chuté de près de 80 % en Europe.

Un déclin catastrophique pour la chaîne alimentaire : « Les martinets se nourrissent d’hyménoptères, de petits insectes comme les abeilles, les guêpes, ou les fourmis ailées, qu’ils attrapent en plein vol. » Là où s’assèchent les ruisseaux et disparaît la pluie, ce plancton aérien comble aussi leurs besoins en eau.

Les martinets peuvent planer des mois durant. CC NY 2.0 / Derek Keats / Wikimedia Commons

À cet écueil s’ajoute celui du bouleversement des paysages : « Les grandes monocultures, les forêts transformées en plantation de conifères, la destruction des vieux bâtis et les ravalements de façade conduisent à uniformiser les habitats », précise Thomas Vulvin.

Résultat : seules les espèces dites « généralistes », c’est-à-dire avec de fortes capacités d’adaptation, s’en sortent. Or, les martinets cafres n’en sont pas.

200 jours dans les cieux

Pour nicher, eux s’approprient les nids des hirondelles rousselines, « en bouillie de terre séchée » ou débusquent une cachette à flanc de falaise. « Et ce n’est pas pour rien ! Une fois au sol, ces martinets sont incapables de s’envoler. Leurs grandes ailes les en empêchent… »

Si le décollage n’est pas leur fort, leurs cousins et eux peuvent planer des heures, des jours, voire des mois durant : en 2012, des chercheurs de la station ornithologique suisse de Sempach ont notamment enregistré un spécimen de martinet à ventre blanc, resté près de 200 jours dans les cieux.

 

Thomas Vulvin : « Ce n’est pas une légende ! Une fois au sol, ils sont incapables de s’envoler. » © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Dans l’hypothèse d’une colonisation du pourtour méditerranéen par les martinets cafres, l’écosystème en place pourrait-il être déstabilisé ? « Non, assure Jocelyn Champagnon. De tels bouleversements peuvent survenir avec l’apparition soudaine d’une espèce exotique envahissante, relâchée volontairement ou pas par les humains.

À l’inverse, l’arrivée d’une population étendant son aire de répartition se fait progressivement, et n’entraîne pas ou peu de concurrence. » Le chercheur prévient toutefois qu’il faudra surveiller la bonne cohabitation avec les humains. « Chaque hiver, dans le Gard, de plus en plus de grues cendrées s’arrêtent en chemin pour manger les céréales tout juste plantées… Ce qui fait naître quelques tensions. »

 

Thomas Vulvin : « Ne sabrons pas le champagne trop vite. » © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Les couleurs flamboyantes du crépuscule en toile de fond, l’ornithologue décide de plier bagage. « Veni, vidi, mais pas vici », lance-t-il comme pour ponctuer l’heure passée à fixer la cavité dont la star du jour n’est jamais ressortie.

« Et dire que d’ici cinquante ans, il suffira peut-être de lever les yeux pour en observer par dizaines, poursuit-il. Enfin, ne sabrons pas le champagne trop vite… Déjà faudrait-il qu’un deuxième vienne partager son nid. » À l’approche de l’automne, le petit éclaireur retournera auprès de ses congénères, en Afrique. Gardera-t-il pour lui le secret de sa grande découverte ? Suspens. Pour l’heure, les cigales chantent encore.

Mobilisation européenne pour le Milan royal : 31 jeunes milans royaux équipés de balises

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Avec l’appui d’une ONG autrichienne, 31 jeunes milans royaux ont été équipés de balises GPS par la LPO et Lorraine Association Nature (LOANA) entre les 7 et 10 juin 2023 dans les Pyrénées et le Grand Est. Cette pose de balises GPS a eu lieu dans le cadre du programme européen LIFE EUROKITE qui vise à protéger cette espèce menacée, dont la France abrite 12% de la population mondiale.

Les 7 et 8 juin 2023, des balises GPS ont été posées sur 10 jeunes milans royaux dans la Zone de Protection Spéciale (ZPS) de la vallée de la Nive des Aldudes (Pyrénées-Atlantiques). 21 autres balises ont été posées les 9 et 10 juin dans le Bassigny (Haute-Marne et Vosges). En 2021, 26 milans avaient déjà été équipés dans le Massif central puis 20 supplémentaires dans l’Aveyron, en Haute-Marne et dans les Vosges en 2022. 22ont hélas été ensuite retrouvés morts en Espagne et en France.

Cofinancé par l’Instrument financier pour l’environnement (LIFE) de l’Union européenne, le projet EUROKITE, coordonné par l‘ONG autrichienne MEGEG, utilise la télémétrie pour identifier, localiser et quantifier les principales causes de mortalité qui affectent le Milan royal à travers l’Europe afin de proposer des actions de conservation adaptées. Côté français, le programme est cofinancé par le Ministère de la transition écologique et la LPO et est mis en œuvre par la LPO France avec l’appui notamment de ses associations régionales Auvergne Rhône-Alpes, Aquitaine et Champagne-Ardenne.

A ce jour, ce programme LIFE a déjà permis d’équiper 855 milans royaux de balises GPS dans une dizaine de pays européens et, grâce à des coopérations avec d’autres partenaires, le projet compte plus de 2 200 milans royaux équipés de balise dans sa base de données.  Grâce à un système d’alerte, toute suspicion de mortalité d’un des oiseaux est signalée et le cadavre peut alors être récupéré pour autopsie et analyses toxicologiques. Le suivi GPS permet également d’en apprendre davantage sur la biologie et le comportement migratoire de l’espèce.

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Présent uniquement en Europe, le Milan royal est un rapace diurne inféodé aux zones agricoles associant élevage et polyculture. Reconnaissable en vol à son plumage clair et à sa queue échancrée, il s’observe tout au long de l’année en France. Empoisonnement, tir, collision, électrocution : les menaces d’origine humaine qui pèsent sur les populations de rapaces à travers l’Europe sont aussi diverses que redoutables. Au regard du statut préoccupant du Milan royal en France, un nouveau Plan national d’actions coordonné par la DREAL Grand Est et animé par la LPO, a été lancé en 2018 pour une durée de 10 ans. Les données acquises dans le cadre du Life EUROKITE viennent compléter et orienter les actions de sauvegarde de ce PNA.

Plus d’informations sur le site web dédié au projet : https://www.life-eurokite.eu

Deux couples atypiques en Tchéquie au printemps 2023 : cigognes blanches et cigognes noires

cigogne blanche-cigogne noire

Ces deux cas inhabituels de nidification ont attiré l’attention des ornithologues tchèques, mais aussi du grand public.

Par rapport à sa superficie, la Tchéquie fait partie des pays européens dont les populations de Cigognes blanches (Ciconia ciconia) et noires (C. nigra) sont les plus importantes, avec respectivement près de 900 et de 300 à 400 couples. Ces fortes densités expliquent peut-être, au moins partiellement, deux cas de nidification atypiques observés au printemps 2023 qui ont attiré l’attention des ornithologues du pays, et même du grand public. Ils ont été décrits en mai sur le site web de l’association Česká Společnost Ornitologická(CSO), le partenaire national de Birdlife International.

Voir l’article du 12 mai 2023 sur Ornithomedia.com (le web de l’ornithologie)

Photo : Couple mixte composé d’un mâle de Cigogne noire (Ciconia nigra) et d’une femelle de Cigogne blanche (C. Ciconia) aménageant « leur » nid à Horní Cerekev, dans la région de Vysočina (Tchéquie) à la mi-avril 2023. Photographie : Jan Ipri / CSO

Idées reçues : le grand cormoran menace-t’il la pisciculture et la pêche en France?

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Durant plus d’un siècle, les persécutions menées par l’homme contre le grand cormoran ont mené cette espèce au bord de l’extinction. Si en Chine, au Japon ou au Vietnam, une méthode de pêche traditionnelle utilise des cormorans dressés pour pêcher en eau douce, en Europe, les relations sont plus conflictuelles. Des pisciculteurs accusent l’oiseau de vider rivières et étangs. Qu’en est-il réellement ?

LE GRAND CORMORAN FAIT-IL CONCURRENCE AUX PÊCHEURS ?

L’impact de la prédation du grand cormoran est souvent difficile à mesurer, en l’absence d’étude précise, car on ne connaît pas toujours les densités de poissons.

En outre la mortalité des poissons a d’autres causes que la prédation exercée par les cormorans. Sur les piscicultures d’étangs, la prédation varie beaucoup d’un site à l’autre, mais elle peut localement avoir un impact économique important, d’autant que cette activité est peu rentable.

En revanche, en milieu naturel, le grand cormoran joue son rôle de prédateur opportuniste et ne met pas la faune piscicole en danger.

COMMENT PROTÉGER LES PISCICULTURES DU GRAND CORMORAN ?

Les piscicultures sont des milieux artificialisés où les densités de poissons peuvent être beaucoup plus élevées que dans les milieux naturels : pour le grand cormoran, elles représentent donc un garde-manger à ciel ouvert, extrêmement attractif.

Néanmoins, les grandes piscicultures intensives ont les moyens de se protéger et considèrent généralement que les pertes dues au cormoran sont négligeables.

Lorsque les dégâts sont importants, les pisciculteurs peuvent utiliser différents moyens de protection :

  • filets ou fils tendus sur la surface du plan d’eau ;,
  • installation de refuges et de végétation où les poissons peuvent s’abriter ;
  • suppression des perchoirs à proximité, effarouchement visuel ou acoustique ;
  • aménagement du calendrier piscicole (dates de vidange et d’empoissonnement).

Le choix et la combinaison des mesures les plus efficaces dépendront de la configuration du site.

LES DESTRUCTIONS DE GRANDS CORMORANS SONT-ELLES EFFICACES ?

Depuis 1992, le statut du grand cormoran a changé et la destruction de la sous-espèce continentale est devenue possible par dérogation, pour prévenir des dommages importants aux piscicultures en étang.

Un plafond du nombre d’oiseaux pouvant être détruits par tir est fixé annuellement pour chaque département, en fonction du nombre d’oiseaux recensés et de la présence d’étangs piscicoles. Ces tirs sont effectués par les exploitants ou par des chasseurs autorisés.

Le bilan est mitigé : localement, ces tirs peuvent réduire la pression de prédation sur l’étang concerné, mais ils ont aussi pour effet de disperser les oiseaux, qui vont coloniser de nouvelles zones. En revanche, ils ont peu d’effet sur le nombre de grands cormorans présents en France, qui dépend surtout de l’abondance des ressources alimentaires. Les effectifs d’oiseaux hivernants se sont stabilisés de manière naturelle après la forte augmentation des années 80-90, au fur et à mesure que leur exploitation des milieux favorables est arrivée à saturation.

QUEL RÔLE JOUE LE GRAND CORMORAN DANS LES MILIEUX NATURELS ?

Le retour ou le rétablissement d’espèces sauvages piscivores comme le héron, la loutre ou le grand cormoran, s’il est une excellente nouvelle pour notre patrimoine naturel, n’est pas toujours bien accepté par le monde de la pêche. Avant d’accuser ces animaux de consommer trop de poissons, ne faudrait-il pas envisager d’autres facteurs ?

L’eutrophisation des eaux, les pollutions industrielles et domestiques (dont les micro-plastiques), les pesticides, l’artificialisation des cours d’eau, la destruction des zones humides, le réchauffement climatique ou encore l’introduction d’espèces exotiques ont des impacts dévastateurs sur la qualité des milieux aquatiques.

D’ailleurs, c’est cette eutrophisation générale des eaux européennes, due aux effluents agricoles, qui a conduit à l’accroissement des poissons blancs, fournissant ainsi une nourriture abondante au grand cormoran.

En jouant son rôle naturel de prédateur, le cormoran diminue la surexploitation du zooplancton, ce qui réduit à son tour le phytoplancton et peut contribuer à une meilleure oxygénation des eaux. Loin d’être une menace, son retour apporte des bénéfices aux milieux naturels.

MIEUX CONNAÎTRE LE GRAND CORMORAN

Au sein de l’espèce grand cormoran, il existe plusieurs sous-espèces. La France en accueille deux : l’une continentale (Phalacrocorax carbo sinensis), qui fréquente les plans d’eau et rivières aussi bien que les côtes, et l’autre marine (Phalacrocorax carbo carbo), qui se cantonne au littoral. Il ne faut pas confondre le grand cormoran avec une espèce très proche, le cormoran huppé (Gulosus aristotelis), de plus petite taille, qui est strictement limité aux côtes rocheuses et aux îlots en bord de mer.

Un consommateur de poisson opportuniste

Le grand cormoran est un piscivore opportuniste : il se nourrit essentiellement de poissons vivants, qu’il pêche en plongeant depuis la surface. Il n’est pas spécialisé sur un type de proies en particulier : il pêche ou capture les espèces les plus facilement accessibles dans le milieu où il se trouve.

C’est pourquoi il consomme très souvent des poissons comme les cyprinidés (brème, carpe, gardon, ablette…) et percidés (perche, sandre), des espèces qui ont été favorisées par l’eutrophisation des eaux continentales. Il consomme également des espèces introduites (perche soleil, poisson-chat…). La plupart des proies sont de petite taille (une dizaine de centimètres) et l’oiseau les avale sous l’eau, mais lorsque la proie est plus grosse, il remonte à la surface pour l’avaler plus commodément, ce qui donne la fausse impression aux observateurs que le cormoran ne se nourrit que de gros poissons.

Un oiseau qui a failli disparaître

Durant plus d’un siècle, les persécutions menées par l’homme contre le grand cormoran ont mené cette espèce au bord de l’extinction. A la fin des années 1970, il ne restait plus que 5 300 couples dans une dizaine de colonies situées en Europe du Nord.

En 1975, pour stopper ce déclin, la France a classé le grand cormoran comme espèce protégée, puis en 1979 la protection de l’espèce a été instaurée dans toute l’Europe. Cette protection a permis au grand cormoran de connaître une forte croissance démographique au Pays-Bas et au Danemark. Puis, ces pays étant peu propices à l’hivernage, l’expansion géographique de ces populations s’est généralisée à l’échelle européenne. La multiplication des plans d’eau artificiels et l’augmentation de certaines populations de poissons ont fourni à l’espèce de nouveaux sites pour se nourrir et se reproduire.

La France est ainsi devenue le pays le plus important pour l’hivernage du grand cormoran : le recensement de janvier 2021 a comptabilisé un peu plus de 115 000 individus.

Source FNE

Mal faits, des nichoirs peuvent être néfastes pour les oiseaux

nichoirs mal faits

Des nichoirs mal conçus ou installés à des endroits inappropriés peuvent nuire à la reproduction des volatiles. – Pxhere/

 C’est un grand classique des ateliers bricolage avec les enfants : la confection et l’installation de nichoirs à oiseaux. Mais l’exercice est moins simple qu’il n’y paraît. D’après une étude publiée le 26 avril dans la revue Avian Research, des nichoirs mal conçus ou installés à des endroits inappropriés peuvent nuire à la reproduction des volatiles.

Introduits dans les années 1920 pour pallier la disparition des trous d’arbres, les nichoirs jouent un rôle important dans la protection des oiseaux et la recherche en ornithologie. Mais les 321 articles analysés par les auteurs de l’étude, tous publiés entre 2003 et 2022, mettent en évidence de possibles conséquences négatives sur les espèces menacées, voire une augmentation du risque d’extinction.

La forme et la taille du nichoir revêtent une grande importance. L’effet du diamètre de l’entrée, qui va favoriser une espèce plutôt qu’une autre, est bien connu des ornithologues amateurs : une mésange charbonnière ou mésange variée va apprécier un diamètre de 4 à 5 centimètres (cm), une mésange nonnette un diamètre de 3 cm. Mais d’autres caractéristiques sont également très importantes. Dans un nichoir trop grand et difficile à chauffer, les parents peuvent s’épuiser à maintenir une température adéquate ; à l’inverse, une chaleur excessive dans un nichoir trop petit et surpeuplé peut tuer la nichée, surtout si l’abri est construit en matériaux peu isolants (contreplaqué mince) et/ou de couleur sombre. Des matériaux de construction trop vieux peuvent favoriser les parasites, les odeurs — humaines, de produits chimiques — et attirer les prédateurs. Dans un nichoir à l’ouverture trop grande ou pas assez profond, les oiseaux sont à portée de crocs, notamment des chats errants.

Le choix du lieu d’installation du nichoir est lui aussi crucial. Une densité trop importante de nichoirs peut accroître la compétition intra et interespèces et ses effets néfastes — agressivité, conflits pour la nourriture, parents accaparés par la surveillance du nichoir, diminution de la taille des nichées, etc. Cette guerre impitoyable favorise certaines espèces au détriment d’autres : les moucherolles tachetés battent en retraite face aux mésanges charbonnières, lesquelles ne font pas le poids face aux gobemouches tachetés, ces derniers pouvant être chassés par des guêpes, des chauves-souris ou des écureuils. Si l’emplacement est trop bruyant, la communication entre les parents chanteurs peut être plus difficile. Quant à la lumière artificielle, elle peut affecter le sommeil et l’immunité des volatiles.

Alors, faut-il laisser les oiseaux de son jardin se débrouiller seuls ? Non, mais les chercheurs plaident pour des travaux plus approfondis sur certains points précis, comme les nichoirs en milieu urbain et l’odorat des oiseaux. « Les nichoirs artificiels peuvent attirer des oiseaux utiles, favoriser la lutte biologique et contribuer de manière significative à l’écologie de la reproduction des oiseaux, à la protection de la diversité, à la génétique des populations et à la dynamique des populations, concluent-ils. L’impact négatif des nichoirs sur les oiseaux devrait être résumé et éliminé en temps utile, ce qui contribuera à la protection des oiseaux et de la biodiversité, et au maintien de l’équilibre de l’écosystème. »

Les oiseaux disparaissent d’abord à cause de l’agriculture intensive, selon cette nouvelle étude

Riparia (swallow bird) balances on a twig

Les populations d’oiseaux ne cessent de diminuer en Europe. Une récente étude a comparé l’impact des différents secteurs responsables de leurs disparitions.

Par Margaux Lamoulie

– L’agriculture intensive fait encore parler d’elle. Une étude parue ce lundi 15 mai démontre que les exploitations agricoles sont les premières responsables du déclin des populations d’oiseaux.

En effet, de nombreux rapports montrent depuis quelques années que la démographie des volatiles est en baisse. Selon National Geographic, la population d’oiseau en Europe a baissé de 17 % à 19 % depuis 1980, ce qui correspond à la disparition de 560 millions à 620 millions de bêtes. « Le fait que la population d’oiseaux diminue fortement, c’était un fait déjà connu. Des analyses locales ou internationales avaient déjà été réalisées, mais aucune ne combinait une grande variété d’espèce sur une large période de temps, et le tout à grande échelle » a confié au HuffPost Stanislas Rigal, l’auteur principal de cette nouvelle étude.

L’équipe de chercheurs a donc réussi à rassembler tous ces critères pour la première fois. Leur étude repose sur plus de trente-sept ans de données provenant de vingt mille sites dispersés dans vingt-huit pays européens. Cela leur a permis de se pencher sur 170 espèces d’oiseaux communs, et notamment la famille des passereaux.

Quatre secteurs étudiés, l’un d’entre eux sort du lot

Les scientifiques ont identifié quatre principaux facteurs qui influencent la démographie des oiseaux : la couverture forestière, l’urbanisation, la hausse des températures et l’agriculture intensive. Afin de déterminer leur impact, ils ont mis en rapport les tendances annuelles de reproduction des espèces et celles des quatre critères sélectionnés. Résultat : le plus dévastateur est de loin l’agriculture. Les oiseaux des milieux agricole sont davantage touchés, mais les conséquences se répercutent chez les autres espèces.

Leur disparition est le résultat d’une déstabilisation de la biodiversité. En effet, les oiseaux se nourrissent essentiellement d’insectes. Mais comme le souligne l’étude, agriculture intensive rime souvent avec destruction de la biodiversité : parce que les forêts et les haies, qui grouillent de vie, sont abattues pour agrandir les cultures, mais aussi parce que les pesticides et insecticides tuent les insectes.

Les oiseaux ont donc de plus en plus de mal à s’alimenter, et cela est particulièrement critique au moment de la reproduction et de la naissance des petits. D’autant plus que la plupart des oiseaux communs d’Europe ont une espérance de vie assez courte (quelques années), et n’ont donc pas beaucoup d’occasions de se reproduire. C’est principalement la répétition de ce cycle qui a mené à la disparition des oiseaux, faisant de l’agriculture l’impact le plus dévastateur des quatre critères.

La couverture forestière et l’urbanisation en cause

Heureusement pour nos passereaux, le continent européen reste relativement riche en espaces forestiers. La préservation des espaces boisés, mais aussi la reforestation (volontaire ou via l’abandon de surfaces cultivées) sont des alliés des oiseaux en quête de refuge.

Il s’agit alors de forêt secondaire, c’est-à-dire une forêt repoussant sur une terre qui a été dominée par l’Homme. Bien qu’elles ne soient pas aussi optimales pour les oiseaux que les forêts primaires, qui sont restées vierge d’activité humaine, elles offrent tout de même un certain nombre de cachettes et de nourritures aux oiseaux. Elles sont donc plutôt avantageuses pour l’espèce.

Pour ce qui est de l’urbanisation, son impact est lui aussi modéré. Car si les habitats naturels des oiseaux sont détruits par l’étalement des villes, des espèces nommées « cavernicoles » sont capables de s’adapter au milieu urbain. Elles se contentent de n’importe quelle infractuosité et y construisent des nids sommaires avec quelques brindilles, sans avoir besoin de beaucoup de ressources.

Le réchauffement, pas le premier coupable

« Cela est toutefois de plus en plus difficile sur les bâtiments modernes, où les aspérités pouvant servir de cachettes aux oiseaux manquent » temporise Stanislas Rigal. Un besoin particulièrement aigu dans un contexte où les villes confrontées au réchauffement deviennent des îlots de chaleur.

Pourtant si la hausse des températures cause de nombreux problèmes environnementaux, elle n’est pas aussi destructrice pour les oiseaux que l’on pourrait le penser. Car bien que le réchauffement handicape certaines espèces, « il est aussi favorable à d’autres, pour lequel la chaleur est bénéfique » explique le principal auteur de la thèse.

Mais surtout, le changement climatique est déjà engagé, et « c’est malheureux, mais c’est déjà trop tard » confit Rigal. Alors que pour le milieu agricole, il est encore temps de changer la donne, estime le chercheur : « L’agriculture en elle-même peut évoluer sous l’influence de mesures et de lois. On ne pointe pas du doigt les agriculteurs, mais c’est le modèle qui est à repenser.»

Pourquoi les chardonnerets élégants sont un trafic « aussi rentable que la drogue »

chardonneret élégant

Cette espèce, prisée pour son chant et son plumage multicolore, est revendue entre 50 et 1.000 euros le spécimen, sur le marché noir

  • Les trafics de chardonnerets élégants se multiplient, ces dernières années.
  • Cette espèce, prisée par les trafiquants pour son chant et son plumage multicolore, est revendue entre 50 et 1.000 euros le spécimen, sur le marché noir.
  • Pour l’espèce, ces trafics sont un véritable désastre. En France, la population de chardonnerets élégants à l’état sauvage a chuté d’au moins 40 %.

Le 12 avril dernier, la cour d’appel de Montpellier (Hérault) condamnait un trafiquant à deux ans de prison ferme, six mois de plus qu’en première instance. Ce n’est pas le commerce de stupéfiants ou de cigarettes de contrebande qui a conduit ce contrevenant à la barre, mais un trafic de chardonnerets élégants. Ces dernières années, ces oiseaux, prisés pour leur beauté et leurs chants mélodieux, sont victimes d’un impitoyable marché noir. Régulièrement, des spécimens de ces petits volatiles protégés sont capturés et placés dans des cages minuscules par des trafiquants, avant d’être revendus à prix d’or.

A l’Office national de la biodiversité (OFB) de l’Hérault, on croule, comme dans d’autres départements, sous les trafics de chardonnerets élégants. « Nous avons beaucoup de remontées d’associations de protection de la nature ou même de particuliers, qui sont témoins de captures ou qui remarquent que des oiseaux sont détenus illégalement sur des balcons, par exemple », explique Vincent Tarbouriech, chef de l’OFB dans l’Hérault. Il faut dire que ce business est particulièrement juteux. « C’est un trafic moins connu, mais malheureusement aussi rentable que la drogue, déplore Vincent Tarbouriech. Un oiseau peut être revendu de 50 à plus de 1.000 euros, selon son chant et son plumage. Si vous capturez quelques dizaines d’oiseaux par jour, ça chiffre très rapidement. »

Un désastre, pour la survie de l’espèce

Les trafiquants de chardonnerets élégants sont d’ailleurs, souvent, englués dans des combines de stupéfiants. Dernièrement, des gendarmes, qui enquêtaient sur une affaire de drogue, ont élargi le champ de leurs investigations, lorsqu’ils ont entendu… des gazouillis, derrière les discussions, dans les écoutes téléphoniques des suspects.

Pour l’espèce, ces trafics sont un véritable désastre. En France, la population de chardonnerets élégants à l’état sauvage a chuté d’au moins 40 %. « Ce n’est pas la seule cause, il y a aussi l’utilisation de certains pesticides, les modifications des milieux, notamment, explique Pierre Maigre, le président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de l’Hérault. Mais ces trafics contribuent, malheureusement, à cette baisse des effectifs. » Dans certains pays hors d’Europe, où ces oiseaux sont les stars de concours de chant et d’élégance, on n’en trouve plus, ou presque, dans la nature. « Cela explique, aussi, ces envolées de prix », reprend le patron de la LPO de l’Hérault.

Une justice sévère, se réjouit la LPO

Pour capturer ces chardonnerets élégants qui sont si rémunérateurs, les trafiquants utilisent plusieurs méthodes, illégales et sévèrement punies. Avec de la colle, dont ils badigeonnent des bâtons. Les oiseaux, attirés par un point d’eau, des graines, d’autres oiseaux en cage ou des enregistrements de gazouillis, s’y perchent, et restent piégés. D’autres utilisent de grands filets, pour les arracher à leur milieu naturel.

Ces derniers temps, la justice s’est montrée sévère, à l’encontre des trafiquants de chardonnerets élégants. « Depuis quelques mois, nous constatons, avec une certaine satisfaction, que des tribunaux n’hésitent pas, lorsqu’il y a une récidive, des peines de prison ferme, reprend Pierre Maigre. Ce n’était pas le cas, autrefois. Une condamnation numéraire, à quelques centaines d’euros, compte tenu des gains générés par ce trafic, ce n’est pas dissuasif. » En France, la capture, la détention et le commerce des espèces protégées sont lourdement sanctionnés : les mis en cause encourent pour chacun de ses délits 3 ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende.

Source 20 minutes

LIFE SafeLines4Birds : réduire l’impact des réseaux électriques sur les oiseaux en Europe

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L’Union Européenne a doté le programme LIFE SafeLines4Birds d’un budget de plus de 14 millions d’euros pour un plan d’action inédit de 6 ans (2023-2028) visant à diminuer la mortalité des oiseaux causée par les lignes électriques en France, en Belgique et au Portugal. Côté français, il rassemble la LPO, Enedis et RTE, déjà réunis autour de la même thématique au sein du Comité National Avifaune créé en 2004. 

La collision avec les installations électriques, l’électrocution lors du perchage ou de la nidification et le dérangement pendant leur période de reproduction causent chaque année la mort de millions d’oiseaux dans le monde et, pour certaines espèces, représentent une menace sérieuse d’extinction. Le LIFE SafeLines4Birds cible en particulier 13 espèces parmi les plus touchées en France, en Belgique et au Portugal : Outarde canepetière, Gypaète barbu, Aigle de Bonelli, Vautour moine, Vautour percnoptère, Faucon crécerellette, Grue cendrée, Balbuzard pêcheur, Cigogne blanche, Cigogne noire, Bécasse des bois, Courlis cendré, Vanneau huppé.

La réussite du LIFE SafeLines4Birds, coordonné par la LPO, repose sur la collaboration étroite entre différents types de partenaires à l’échelle européenne : associations de protection de la nature, gestionnaires de réseaux de transport et de distribution d’électricité, et des experts scientifiques.

L’innovation au service de la protection des oiseaux

Des approches innovantes seront mises en œuvre, tel que le système américain ACAS (Avian Collision Avoidance System) qui éclaire les câbles avec de la lumière ultra-violette pour réduire les collisions. 4 000 dispositifs de dissuasion des oiseaux seront également installés dans les trois pays concernés. Dans certaines zones à haut risque, les lignes aériennes basse tension seront remplacées par des câbles souterrains afin d’éliminer toute menace.

Les poteaux électriques présentant un danger potentiel pour les oiseaux seront modernisés et isolés afin de lutter contre les électrocutions et 180 plates-formes sécurisées seront mises en place au sommet de pylônes pour faciliter la nidification de certains oiseaux comme les cigognes blanches et les balbuzards pêcheurs. Enfin, les calendriers d’entretien et de surveillance du réseau seront adaptés en fonction des périodes de reproduction des espèces cibles pour limiter le dérangement.

L’efficacité des mesures d’atténuation testées sera évaluée de manière standardisée et tous les résultats seront partagés afin de permettre une meilleure compréhension de l’impact des réseaux électriques sur les oiseaux et encourager les bonnes pratiques.

Pour Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO : « Pendant des siècles, le développement humain s’est fait trop souvent au détriment de la nature, qui agonise aujourd’hui. Il est urgent d’inverser le processus et de mettre désormais la technologie au service de la préservation de la biodiversité. Ce partenariat européen inédit entre les gestionnaires de réseaux électriques, les associations de protection de la nature et les scientifiques, unis pour protéger les oiseaux, est une démarche d’avenir».

Pour Catherine Lescure, Directrice de la Communication et de la RSE d’Enedis : « Notre ambition de préserver la biodiversité est partagée avec l’ensemble de nos salariés. Aux côtés de la LPO et grâce au programme européen SafeLines4Birds, nous allons poursuivre le déploiement de solutions : installation de balises avifaune, de plateformes pour la nidification des cigognes, mise en place de dispositifs de neutralisation et de dissuasion sur les poteaux électriques ».

Pour Delphine Porfirio, Directrice du Département Concertation et Environnement de RTE « Protéger l’avifaune en limitant le risque de collision des oiseaux sur nos lignes est un enjeu majeur pour RTE. Cela fait plus de 30 ans que nous mettons en place des dispositifs adaptés et plus de dix ans que nous travaillons en partenariat avec la LPO. Ce programme européen va nous permettre de continuer nos actions et investir en R&D pour trouver de nouvelles solutions. »

Photo : ©canstockphoto.fr

Ce que les oiseaux nous disent du monde

le rouge_gorge m'a regardé

De sa rencontre avec un rouge-gorge, le maraîcher bio Mathieu Yon s’interroge : trouverons-nous un jour un langage commun pour que la nature et ses maux ne restent pas silencieux ?

Ce matin dans mon champ, j’ai vu un rouge-gorge pris sous un voile d’hivernage. Je l’ai enveloppé dans mes mains pour le sortir. À cet instant, il n’y avait ni réflexion ni émotion de ma part. Je ne pensais à rien. Il y avait seulement un geste simple et un lien fragile avec le monde. Le rouge-gorge m’a regardé une seconde, puis il s’est envolé.

Certains médias, certains membres du gouvernement emploient le mot « barbare » pour décrire les manifestants de Sainte-Soline. Historiquement, ce mot désigne ceux dont on ne comprend pas la langue. Il n’y a donc plus de curiosité, plus de désir de découvrir les langues de Sainte-Soline ou de Notre-Dame-des-Landes. De nombreux efforts sont au contraire déployés pour les maintenir en dehors du discours. Pourtant, il faudra bien essayer de mettre des mots entre nous.

Mon rouge-gorge n’était pas un barbare. J’ai même cru qu’il me dirait quelque chose sur les violences qui traversent la société. Mais il n’a rien dit, me jetant à peine un regard, comme une miette de pain. Et il s’est envolé. J’aurais pu lui demander sa langue maternelle et ce qu’il pensait du mot « barbare ». J’aurais pu lui parler de Sainte-Soline et du ciel bleu qui ressemble de plus en plus à un désert.

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« Un jour, nous tomberons si bas que nous commencerons à côtoyer les brins d’herbe et les oiseaux comme des compagnons du langage. » Pixabay/CC/Gruendercoach

J’ai oublié toutes ces questions. Mais pendant un instant, j’avais une encre rouge dans ma main. Après son envol, cette tache d’encre n’a pas voulu partir. Elle est encore dans ma paume lorsque j’écris ces lignes sur une page blanche, assis à la table de la cuisine. Cette encre rouge plie les bruits du monde dans un placard et fait remonter un son faible, ténu, mais qui ne lâche pas : comme si on pouvait entendre une tige d’herbe frottée par un archet invisible.

Sans elle, à qui pourrais-je dire que la pluie me manque, et que nos infrastructures très sérieuses ne fabriqueront pas les nuages ? Sans elle, comment pourrais-je noter l’apparition des premières coccinelles et saluer l’orage comme le tracteur du voisin ?

Ce qui coule dans nos veines

L’encre rouge ne parle pas sur les ondes, on ne l’entend pas sur les réseaux sociaux. Mais on peut l’apercevoir dans l’innocence du ver de terre qui n’insulte pas le soc, dans la rivière qui n’accuse pas la sécheresse, ou dans le regard du rouge-gorge qui ne réprimande pas le maraîcher, mais qui laisse couler un peu d’encre dans sa main pour qu’il puisse noter son langage.

Personne ne voit que la bataille est perdue, et que cette défaite nous honore, car elle nous rend vulnérables. Ceux qui veulent la victoire à tout prix me font de la peine. Ils sont tous condamnés à réussir, et ils ne connaîtront jamais le goût brûlant de la perte. Ce goût que l’on ressent lorsque la vie prend une tournure inattendue, attirée par un chemin de traverse.

Les vainqueurs, qu’ils soient de gauche ou de droite, méprisent le courage du rouge-gorge affichant vaillamment sa défaite sur son poitrail. Ils le méprisent, car ils savent que cette encre rouge ne coule pas dans leurs veines, et que leurs triomphes laisseront un goût de satisfaction repue.

Laisser une trace

J’ai essayé de partager avec vous l’encre rouge de la défaite, comme une phrase impossible à terminer ou une histoire sans fin. J’ai essayé de traduire le silence du rouge-gorge qui était dans ma paume ce matin. Un jour, nous tomberons si bas que nous commencerons à côtoyer les brins d’herbe et les oiseaux comme des compagnons du langage. Nous avons encore beaucoup à perdre pour y parvenir.

Quand notre objectif ne sera pas de réussir, mais de préparer la suite, alors nous aurons gagné. Car nous aurons fabriqué un langage commun, comme un outil que l’humanité qui vient apprendre à manier. Cet outil inventera d’autres usages du monde : des manières de cultiver qui agradent les sols, des manières de se déplacer qui augmentent les ressources, et bien d’autres choses encore.

Quand nous aurons trouvé ce langage, même si le climat est perdu, même si les saisons ne reviennent pas, nous aurons laissé une trace que les générations futures pourront lire. Une trace qui leur donnera la possibilité d’inventer une autre histoire. Si nous parvenons à cela, nous éprouverons la joie du travail inaccompli. Et nos vies n’auront pas été vaines.