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« C’est un temps bizarre où les oiseaux, qui pourtant disparaissent, reviennent : reviennent dans notre champ de vision, notre attention, notre parole…» – © Pierre-Olivier Chaput / Reporterre
Depuis la publication du « Printemps silencieux » de Rachel Carson, la catastrophe n’a, à notre désespoir, fait que s’approfondir. Pour reprendre pied dans ce monde abîmé, on peut passer par la poésie de Marielle Macé.
La Terre n’est pas muette, c’est nous qui ne voulons plus l’entendre ou qui tout simplement la faisons taire. Soixante ans après la publication du livre « Printemps silencieux » de Rachel Carson, le constat est plus flagrant. La Terre se dérobe sous nos pieds. Le vivant se meurt. Ce n’est pas tant l’accumulation de données quantitatives, de courbes et de statistiques qui nous le prouve qu’une blessure intime qui grandit à l’intérieur de nous, un sentiment de deuil et de perte, un mélange d’angoisse, de sidération et de colère qui nous saisit et nous consume.
Il y a dans notre époque un profond malaise. L’idée d’une perte inaltérable. Un besoin de consolation insatiable. Une nécessité d’émerveillement et de beauté alors que nous faisons l’expérience de la fragilité du monde autant que de la nôtre. Dans ces ruines, il nous manque de nouvelles couleurs, des repères auxquels se raccrocher, des bouées à agripper pour tenir face à l’adversité et affronter les tempêtes.
Comment habiter un monde abîmé ?
Lire les livres de Marielle Macé peut nous donner cette force. Tracer des chemins d’espérance alors que tout semble sur le point de finir. Cette écrivaine, professeure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), tisse au fil de ses pages une éthique pour temps de crise où se marient l’humilité et la foi en la littérature. Avec comme seule arme la poésie, elle pose les questions qui nous assaillent : comment habiter un monde abîmé ? Comment se rattacher au vivant et se lier à sa symphonie alors que son chant s’estompe ? Comment parler de nature en période d’extinction ?
« …Les oiseaux reviennent ou plutôt : on y pense plus souvent, on en parle davantage, on tend l’oreille, on tente de nouvelles conversations, on se cramponne à leurs bienfaits, on les regrette déjà… » © Pierre-Olivier Chaput / Reporterre
« C’est toute une aventure du sens et des sens qu’il faut reconsidérer : l’aventure de ce qu’est que voir, entendre, sentir », écrit-elle dans son dernier livre, Une pluie d’oiseaux, paru en avril. La quête qu’elle explore est immense et elle veut croire que nous sommes au seuil d’un point de bascule, non pas celui, si déprimant de la fonte de la banquise ou de la destruction de l’Amazonie, mais celui d’une nouvelle forme de sensibilité et d’attachement à ce qui nous relie.
« C’est un temps bizarre où les oiseaux, qui pourtant disparaissent, reviennent : reviennent dans notre champ de vision, notre attention, notre parole. Les oiseaux reviennent ou plutôt : on y pense plus souvent, on en parle davantage, on tend l’oreille, on tente de nouvelles conversations, on se cramponne à leurs bienfaits, on les regrette déjà. Comme si on essayait de les entendre mieux, (de les entendre enfin), au moment où ils s’en vont. »
La catastrophe ouvre la voie à une nouvelle type de relation au vivant, plus charnelle, plus vive. À l’affût du monde. Elle crée les conditions d’une perception élargie. Le partage d’une commune vulnérabilité. Nous sommes « soudés les uns les autres » dans le péril, et « l’ère de la négligence », dont Marielle Macé nous décrit les affres, pourrait bien voler en éclat. Avec son cortège d’affects négatifs : l’anesthésie, la désinhibition et l’incapacité à être durablement troublé ou à se savoir responsable. Nous voilà, au contraire, désormais à « l’ère de l’observance », à « écouter le chant abîmé de l’anthropocène, ce lamento opaque, ce poème criant troué de piaillements ». Comme une élégie qui « nous plante l’extinction à l’intérieur ».
Une amitié pour la vie
Avec la disparition des espèces, « quelque chose de très familier nous est progressivement retiré, rappelle l’écrivaine, quelque chose d’enveloppant et d’immémorial, la preuve et la célébration habituelle du monde, cet accès chantant à l’intensité du vivant ». Quelle folie ont eu nos aînés de se croire à l’extérieur de cet immense orchestre, intouchables et imperturbables !
Il doit entrer dans l’écologie d’aujourd’hui quelque chose d’une « philia : une amitié pour la vie elle-même et pour la multitude de ses phrasés, un concernement, un souci », poursuit l’écrivaine. Il ne s’agit plus seulement de « penser la nature » mais d’abolir ce qui conduit à nous croire si distincts d’elle
« …Comme si on essayait de les entendre mieux, (de les entendre enfin), au moment où ils s’en vont. » – Marielle Macé © Pierre-Olivier Chaput / Reporterre
Dans la lignée de ce qu’écrit Donna Haraway, il nous faut apprendre à « pleurer avec » pour à la fois penser et vivre, c’est-à-dire pour mesurer nos conditions réelles de vie et de mort, savoir de qui nous dépendons, qui dépend effectivement de nous, nous rappeler et dire à force de mélancolie ce à quoi l’on tient et qui nous tient.
Dans cette tâche ardue, la littérature a toute son importance et son actualité : « Pour un poète en effet, rien d’étrange à écouter les pensées de l’eau, de l’arbre, des morts, à s’adresser à eux, à leur poser des questions, à leur commander même », souligne Marielle Macé. La poésie est la dernière survivance de notre animisme. « Je crois que les poètes ont ici un temps d’avance, que la poésie offre des points d’appui pour penser et éprouver ce parlement élargi dont nous avons besoin », affirme-t-elle dans son livre Nos cabanes.
Braver le monde, attaquer les saccageurs
Prêter l’oreille, discerner, entendre le monde bruire d’idées, ça s’apprend. Et les poètes sont là pour ça. Les textes de Marielle Macé sont parsemés de poèmes, ils nous donnent à voir, pour paraphraser Francis Ponge, le parti pris des vivants.
Mais le poème seul, semble bien fragile pour faire face à la mégamachine qui arase la nature. Dans un même élan, Marielle Macé nous invite à déserter, à prendre exemple sur ces bâtisseurs de cabanes dans les zones à défendre, à qui elle rend hommage. « J’écris sous la dictée des plus jeunes — sous la dictée de leur vie matérielle, par gratitude et admiration pour ce qu’ils tentent. »
Il s’agit rien de moins que de « braver le monde ». Pour habiter les interstices du capitalisme. Bâtir des refuges. Agir comme on jardine en favorisant partout la vie. Marielle Macé veut « construire des cabanes ». Cela n’a rien d’anecdotique, c’est un programme politique « pour trouver où atterrir, sur quel sol rééprouvé, sur quelle terre repensée, prise en pitié et en piété ». Construire des cabanes, donc, non pas pour se retirer du monde, s’enclore, se faire une tanière dans des lieux supposés préservés « mais pour leur faire face autrement, à ce monde-ci et à ce présent-là avec leurs saccages, leurs rebuts mais aussi leur possibilité d’échappée ».
Une pluie d’oiseaux, de Marielle Macé, aux éditions Corti (Collection Biophilia), mai 2022, 384 p., 23 euros.
Nos cabanes, de Marielle Macé, aux éditions Verdier, mars 2019, 128 p., 6,50 euros.
Chasse à Clairefontaine-en-Yvelines (Yvelines) en 2021. – Flickr/CC BY-ND 2.0/ Département des Yvelines/© Nicolas Duprey/CD 78
Plus de 400 personnes ont été tuées par des chasseurs en vingt ans. Dans un manifeste, le collectif Un jour un chasseur leur rend hommage et demande des réformes urgentes.
Chaque automne, la même rengaine macabre. Pas une semaine ne s’écoule sans un accident de chasse. Depuis un an, quelque chose a changé : ces incidents ne passent plus inaperçus. « La parole se libère peu à peu, constate le naturaliste Pierre Rigaux. Les habitants paraissent de moins en moins enclins à supporter l’accaparement de l’espace par une minorité pratiquant un jeu mortel hors de toute raison. » Le militant écologiste écrit ce constat dans la préface d’un manifeste nouvellement paru, intitulé Chasser tue (aussi) les humains (Leduc, 2022), et rédigé par le collectif Un jour un chasseur.
Après deux ans de manifestations et de pétitions, ce groupe de jeunes habitantes rurales (il s’agit majoritairement de femmes), constitué à la suite de la mort de leur ami Morgan Keane [1], a décidé de prendre la plume « pour remuer le couteau dans la plaie ». « Parce que c’est trop facile de se taire, parce qu’on s’en voudrait de ne pas avoir tout tenté pour changer les choses. »
Les amies de Morgan Keane, ici devant sa maison, tentent de réguler la chasse. © Alain Pitton/Reporterre
Briser l’omerta donc, et « libérer la parole des oubliés de la ruralité ». Car, rappellent les autrices, 21 millions de Français vivent à la campagne, dont une majorité écrasante de non-chasseurs. 46 % des chasseurs vivent dans une ville de plus de 20 000 habitants, dont 10 % à Paris. « La défense de la chasse n’est pas une question de classe sociale ou de tradition, insistent-elles. C’est l’histoire éternelle d’un vieux monde, représenté par une majorité d’hommes blancs et vieux, qui refusent de comprendre que notre société évolue. » Voilà donc pour les hérauts de la « ruralité ».
Le manifeste compile ensuite des témoignages d’habitants, choqués, traumatisés, blessés par des chasseurs. « Un jour, une balle a traversé toute notre maison. À quelques secondes près, je me la prenais en pleine tête. » « Un jour, mon père a été tué par un chasseur » lors d’une partie de chasse, parce qu’il était entré sans le savoir sur sa propriété ; « le tueur a fait un an de prison — il chassait avec le procureur — et exerce toujours comme médecin ». « La balle d’un chasseur s’est retrouvée dans la chambre de notre fille, pendant sa sieste. »
Un hommage aux 428 morts depuis 1999
Les autrices expliquent avoir voulu « rendre hommage aux victimes » — 3 403 accidents de chasse depuis 1999, 428 morts. Mais ne s’arrêtent pas là. Minutieusement, elles explorent « les failles du système cynégétique », comme la faiblesse des examens lors du permis de chasse, ou la connivence entre chasseurs et politiques. Puis elles dessinent des pistes « pour en finir avec les accidents de chasse ».
Parmi les « réformes urgentes » à prendre :
Espérons que ce petit livre engagé — mêlant enquête, analyse politique et guide pratique (exemple : comment signaler les incidents près de chez soi) — fera bouger les lignes. Car, si la prise de conscience progresse parmi la société, le chemin paraît encore semé d’embûches. « Il ne s’agit pas de mettre les chasseurs au ban de la société, souligne Pierre Rigaux dans sa préface. Il s’agit de faire progresser l’intérêt général. »
Chasser tue (aussi) les humains, du collectif Un jour un chasseur, préface de Pierre Rigaux, aux éditions Leduc, octobre 2022, 266 p., 18 euros.
Cette expression d’Emmanuele Coccia invite à passer de l’écologie punitive à une « érotique planétaire ». Mais elle nous renvoie à ce que Vandana Shiva appelle les « monocultures de l’esprit » donnant à comprendre cette « perversité ». (Gilles Fumey)
Manouk BORZAKIAN (Lausanne), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (Université de Bordeaux).
© https://femmesicietailleurs.com/
Donnons raison au philosophe E. Coccia sur la crise écologique que nous vivons qui doit « être lue comme une relation érotique et sentimentale en crise » [1]. Mais s’il faut « traiter toutes les espèces comme nous traitons nos chiens. Et inversement, de nous laisser traiter comme des chiens, des animaux de compagnie, par toute autre espèce de la Terre », alors il nous faut comprendre ce que nous avons fait à la planète. Ou plutôt ce que certains Etats, certaines entreprises (plutôt multinationales) ont fait depuis deux siècles au moins. Par un système productiviste, inventé aux Pays-Bas au XVIIe siècle, mis en œuvre par les Européens sur le modèle de la plantation tropicale. Un modèle qui exportait dès le XVIIIe siècle les monocultures dans les colonies convoitées alors pour leur biodiversité, leur main d’œuvre, la facilité à voler des terres aux autochtones avec la complicité de petits et grands mafieux locaux.
L’une des pratiques perverses a été de faire disparaître la diversité de notre perception. La biologiste indienne, militante écologiste et écoféministe d’influence mondiale, Vandana Shiva, stigmatise ces monocultures qui ont fait et font disparaître la diversité du monde : « La disparition de la diversité est aussi une disparition des alternatives laissant place au syndrome TINA (there is no alternative). Ce syndrome est si fréquent aujourd’hui que le déracinement total de la nature, de la technologie, des communautés et de la civilisation toute entière est justifié par l’idée qu’il n’y a pas d’alternative ».
Vandana Shiva montre comment dans la région himalayenne du Garhwal, les femmes paysannes perdent la main sur l’approvisionnement en eau, la conservation des sols, et toutes les communautés d’espèces apportant nourriture, fourrage, fertilisant, fibre et combustibles nécessaires à la vie locale. La Révolution verte – qui est, rappelons-le, une catastrophe environnementale et sanitaire – a été le bon filon pour introduire des monocultures et détruire la biodiversité, créer un contrôle centralisé de l’agriculture, éroder les prises de décision décentralisées paysannes. Une uniformisation et une centralisation qui ont conduit à la vulnérabilité et la dégradation sociale et écologique.
Que disent pourtant les paysans indiens ? Les forêts nous apportent un sol, de l’eau et de l’air pur. Que disent les scientifiques avec les techniciens ? Les forêts nous apportent de la résine et du bois. Ainsi, les mouvements Chipko et Appiko des communautés agriculturelles ont dû lutter en Indonésie pour garder la terre de leurs ancêtres, la protéger des destructions des collines, des contaminations des rivières et des ruisseaux, des profanations des tombes sacrées des ancêtres, des massacres des animaux et des arbres.
Vandana Shiva va plus loin. Pourquoi les plantes populaires sont devenues des « mauvaises herbes détruites avec des poisons » ? Le cas de la bathua, un légume feuillu très riche en vitamine A et mangé avec le blé, est édifiant. Cette plante a été considérée comme une « mauvaise herbe » à détruire à l’herbicide. N’est-ce pas scandaleux alors que quarante mille enfants en Inde deviennent aveugles chaque année par manque de vitamine A ?
Détruire la diversité pour augmenter la productivité
Protéger la biodiversité, c’est produire des alternatives, protéger les semences natives. C’est dénoncer le mythe selon lequel les monocultures seraient essentielles pour résoudre les problèmes de pénurie. Pénurie de bois de chauffe sans monoculture ? Faux ! Famines sans monoculture ? Faux !
Dans un programme des Nations unies sur « les systèmes de connaissance comme systèmes de pouvoir », Vandana Shiva montre que les monocultures sont imposées en pariant sur un déclin des rendements et de la productivité des cultures paysannes. Ce qui est faux sur le moyen et long terme. Les monocultures sont pratiquées par les politiques, les entreprises de biotechnologies et la finance internationale. Elles sont nocives car elles touchent un patrimoine libre et commun de l’humanité, lorsqu’elles traitent les ressources (l’eau, les sols, les semences…) comme une propriété privée et comme des marchandises.
Contre les monopoles
Il faut s’opposer à la notion d’obsolescence de la biodiversité vivante que véhicule le paradigme des monocultures. C’est cela qui conduit aux droits monopolistiques sur le contrôle de la biodiversité. Car pour Vandana Shiva, biologiste, rappelons-le, « la révolution génétique nous menace de catastrophes imprévues ». C’est pourquoi chaque graine de semence indigène alimente le système de résistance contre les monocultures et les droits de monopole. Les brevets qui justifient l’innovation interdisent les échanges scientifiques qui sont contrôlés.
Les brevets et les droits de propriété intellectuelle peuvent être vus comme une « déclaration de territoire » qui crée un monopole, garantit des profits en excluant les autres des droits et de l’accès aux moyens de survie. L’Inde paie, ainsi, des milliards de dollars à des firmes américaines alors qu’elle croule sous les dettes. Les Etats-Unis qui se disent victimes de pertes en redevance de produits chimiques sont, en réalité, redevable, selon le Fonds international d’avancée rurale, de 302 millions de dollars pour les redevances agricoles et plus de 5 milliards de dollars pour les produits pharmaceutiques.
Les riches commandent
En prenant la richesse biologique qui est inégalement répartie dans le monde, concentrée dans les pays tropicaux pauvres, on constate que les plans de conservation de cette biodiversité viennent des pays du Nord. Ainsi, les plantations d’eucalyptus encouragées par le Nord poussent à l’extinction les espèces locales nécessaires aux besoins locaux. Les « miracles » de la Révolution verte étaient vantés grâce à la « supériorité » des cultures « avancées » sur les cultures indigènes. On a communiqué sur une notion comme le « haut rendement » des variétés, mais la définition d’un « haut » rendement n’existe même pas. Le même raisonnement a été appliqué aux animaux. Alors que les deux-tiers des besoins énergétiques des villages indiens sont satisfaits par 80 millions d’animaux de trait (dont 70 millions sont des mâles, considérés par l’Occident comme des animaux « inutiles » car à faible rendement laitier). Le bétail excrète pourtant 700 millions de tonnes de fumier par an, récupérable comme combustible soit 68 millions de tonnes de bois, une ressource rare en Inde, l’autre moitié comme engrais, sans parler des sous-produits comme les cuirs. Un système hautement efficace qui a été démantelé au nom du « développement ».
Mahatma Gandhi s’est battu contre le colonialisme qui détruisait l’industrie textile locale. Combien de fois a-t-il expliqué que ce qui est bon à un endroit ne l’est pas ailleurs ? « La nourriture d’un humain est souvent le poison d’un autre » (V. Shiva). Gandhi défendait le rouet contre l’industrie imposée au nom d’un faux universalisme propre aux concepts de développement scientifique et technologique. Aujourd’hui, les semences des agricultrices sont rendues obsolètes par les technologies et l’industrie des semences. Que les biotechnologies puissent produire des semences qui ne se reproduisent pas (alors que, par définition, une semence est régénératrice) relève d’autant plus de la perversité que la nouvelle semence a besoin d’intrants chimiques pour produire… On délocalise ainsi la production de semences de la ferme vers le laboratoire, et donc du Sud vers le Nord.
Ainsi, nous détruisons des moyens d’existence et de subsistance en érodant les ressources biologiques des populations et leurs capacités à répondre à leurs besoins en se régénérant et se renouvelant. Là est la perversité.
Le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW en anglais pour International Fund for Animal Welfare) est une organisation non gouvernementale de protection animale dotée du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations unies.
Tamron France et IFAW s’associent afin de sensibiliser et de fédérer autour de la question de la protection des espèces et de la préservation de leur habitat.
Les deux organisations lancent la charte du photographe animalier qui doit à la fois servir de rappel des règles de base aux photographes quant à leurs interactions avec les animaux, et d’outil de sensibilisation du grand public des questions d’environnement et de bien-être animal.
Le problème majeur du réchauffement climatique est désormais bien connu et les premiers effets de la crise écologique se font déjà sentir. Un changement radical et global n’a jamais été aussi nécessaire, mais les actions que nous mettons en œuvre sont bien loin d’être à la hauteur des enjeux. Comment expliquer ce désintérêt pour une question pourtant cruciale ? Pourquoi détournons-nous le regard devant la catastrophe annoncée et la perspective de l’effondrement ?
Déni et syndrome de l’autruche
Lassitude, fatalisme, apathie, désillusion…? Si les consciences s’éveillent progressivement, la résignation prend souvent le pas sur l’indignation face à la gravité de la crise écologique. Confrontés à l’ampleur et l’imminence de la catastrophe, comment en effet ne pas perdre espoir ? Comment comprendre et analyser les mécanismes de notre cerveau qui nous poussent à accepter et même perpétuer une réalité mortifère ?
Le déni comme mécanisme de survie
En dépit de la clarté des informations scientifiques et de l’unanimité des constats sur nos perspectives d’avenir, notre degré de conscience sur la question de la crise écologique n’est pas à la hauteur des enjeux auxquels elle nous confronte.
Climatoscepticisme, déni actif, partiel ou attentiste… Nous n’agissons que trop peu et préférons bien souvent, que ce soit par crainte ou par confort intellectuel, détourner le regard.
Dans son essai intitulé Le syndrome de l’autruche, le sociologue et philosophe George Marshall analyse les mécanismes par lesquels une partie de notre cerveau préfère en effet nier une information anxiogène et la faire passer au second plan.
Le déni de la réalité de la crise écologique serait en fait une stratégie de survie. Si nous pensions sans cesse à l’effondrement, nous serions tétanisés, paralysés par la peur et le sentiment d’impuissance. Il nous faut donc, pour continuer à vivre dans l’immédiateté, la mettre de côté, quitte à délaisser des enjeux cruciaux à plus long terme.
Les neurosciences nous proposent une autre piste soutenue dans le livre « Le bug humain » de Sébastien Bohler. Si nous détruisons la planète, c’est parce que notre cerveau nous y pousse. Surprenant, non ?
En réalité, le fonctionnement du circuit de la dopamine, qui a permis à notre espèce de traverser les millénaires, en nous poussant à nous reproduire, à nous alimenter, et à rechercher l’information autour de nous, nous conditionne aujourd’hui à nous gaver – de malbouffe, de pornographie, de chaînes d’information et de réseaux sociaux, ce qui contribue à la destruction de notre planète, dans la mesure où ces consommations sont fortement émettrices de gaz à effet de serre.
L’impuissance des lanceurs d’alerte : une parole scientifique largement ignorée
Confrontée quotidiennement à ce déni de grande ampleur, la communauté scientifique fait un constat d’impuissance, alertant sans cesse sur la gravité d’une situation qui ne semble pas évoluer, et ce depuis maintenant 50 ans.
Régulièrement, des dizaines de milliers de scientifiques lancent des appels au changement, comme en 2017, en 2019 ou en avril 2022 où 1 400 scientifiques, climatologues, géographes, sociologues, philosophes, historiens, océanographes, astrophysiciens, mathématiciens et économistes se sont mobilisés, à l’approche des élections présidentielles, sur « l’absence de débat démocratique (…) sur les graves bouleversements en cours et à venir qu’ils concernent le climat, l’océan, la biodiversité ou les pollutions ». En vain.
L’opposition au changement : le silence médiatique et politique
Malgré l’urgence vitale de la situation, le sujet de la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité demeure largement occulté par les médias et absent du débat public. Ou quand il est abordé, il l’est seulement pour se donner bonne conscience ou faire du greenwashing sans mesurer le véritable enjeu de civilisation que nous devons surmonter.
Le silence médiatique
Le dernier rapport du GIEC est alarmant et accablant. Mais dans les médias : rien, ou presque.
Bien souvent, les chaînes télévisées évitent tout simplement le sujet, jugé trop technique et anxiogène. Elles accordent donc davantage d’attention aux enjeux de court terme, retenant plus facilement l’attention immédiate du public et ignorant largement la perspective de long terme que nous impose de prendre en compte l’évolution climatique.
Bien qu’indirectement lié à la crise écologique dont il constitue une des manifestations sensibles, la crise du COVID est ainsi beaucoup plus traitée par les médias que la question plus vaste de la destruction des habitats et du franchissement de la barrière inter-espèces dues à la déforestation et au réchauffement climatique. Nous nous contentons donc d’évoquer le symptôme, refusant de traiter la cause.
De la même manière, le sujet demeure majoritairement absent du débat public, comme le souligne Emma Tosini, porte-parole du mouvement ANV-COP21, à propos des débats présidentiels récents : « Nombre de candidats et candidates se complaisent dans le déni de la crise climatique tandis que de nombreux médias continuent d’invisibiliser les débats autour de l’écologie».
Lors des débats présidentiels, un temps de parole infime a été accordé à la crise climatique, les regards étant majoritairement tournés vers l’Ukraine. Face à ce constat, plus de 150 militants du mouvement Extinction Rébellion se sont rendus le lundi 21 février devant les locaux de France Télévisions, afin d’alerter les rédactions de tous les médias français sur la nécessité de faire de l’urgence climatique une priorité médiatique.
« Nous avons besoin des médias pour ces élections, afin de ne pas laisser les politiques détourner l’attention des citoyen.ne.s au profit de sujets polémiques et racoleurs, reléguant ainsi la survie des espèces, dont la nôtre, au second plan. La jeunesse a besoin d’espoir et réclame de la visibilité en ce qui concerne son avenir. Parce qu’une croissance économique sur une planète aux ressources limitées n’est plus possible, la sobriété nécessaire à l’évolution de nos modes de vie est source de bonheur et de solidarité, ce n’est pas une régression. Nous demandons que les français soient mieux et plus éclairés sur le caractère mortifère du système actuel, liant économie et finance, consommation et destruction du vivant. », expliquaient-ils.
De puissants conflits d’intérêts : l’inertie des pouvoirs publics
Face aux perspectives dramatiques qu’exposent unanimement les rapports scientifiques, la responsabilité des décideurs politiques est capitale. Mais là aussi, déni et inertie sont trop souvent de mise, privilégiant les objectifs de croissance économique, les enjeux de pouvoir et les intérêts privés à ceux de la préservation du Vivant.
« Les pays n’ont pas les mêmes politiques concernant l’adaptation à la crise climatique. Ceux qui sont le plus touchés souhaitent que le langage employé alerte clairement sur la gravité de la crise climatique, tandis que d’autres gouvernements souhaitent que le message soit le plus mou possible pour ne pas avoir à faire de transformations majeures. Le GIEC existe depuis 30 ans, et pourtant aucune politique n’a été mise en place pour prendre le problème au sérieux », explique l’écologue et géographe Wolfgang Cramer, (CNRS/IMBE).
Souvenons-nous de la déclaration de Rajendra Pachauri, Président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 2009 : « Le monde développé n’a vraiment rien fait. Le Protocole de Kyoto est reconnu plutôt par sa violation que par l’adhésion aux limites qui ont été fixées. »
Aujourd’hui, nous sommes dans l’après-Kyoto, et rien n’a vraiment changé. Les sommets sur le climat se suivent et se ressemblent : les dirigeants du monde s’applaudissent, les grands médias nous rassurent et continuent de prôner la croissance infinie dans un monde fini, quoi qu’il en coûte…
En 2021, la France a ainsi été doublement condamnée par la justice pour son inaction climatique, notamment par le Conseil d’Etat, la plus haute instance administrative de notre pays.
Le verdict des scientifiques est sans appel : “ Depuis des décennies, les gouvernements successifs ont été incapables de mettre en place des actions fortes et rapides pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence croît tous les jours. Cette inertie ne peut plus être tolérée (…) Les politiques françaises actuelles en matière climatique et de protection de la biodiversité sont très loin d’être à la hauteur des enjeux et de l’urgence auxquels nous faisons face.”
Nous savons que le temps presse pour entamer la transformation radicale de nos sociétés vers la résilience. Mais notre culture du déni et du délai repousse sans cesse le moment de l’action. Si la prise de conscience ne suffit pas, comment sortir de l’inertie ?
L’information et la sensibilisation semblent cruciales, dès lors qu’elles permettent de déboucher sur la mobilisation et l’action collective, comme le rappellent explicitement les membres du GIEC : « Les choix que nous ferons au cours de la prochaine décennie détermineront notre avenir. Tout retard supplémentaire dans une action mondiale concertée manquera une fenêtre brève et qui se referme rapidement pour assurer un avenir vivable. Pour assurer avec succès notre propre avenir et celui des générations futures, les risques climatiques doivent désormais être pris en compte dans chaque décision et chaque planification politique. Nous avons les connaissances et les outils. Maintenant, c’est à nous de faire notre choix. »
Source : notre-planète.info / 19 mai
Bergers, éleveurs ou naturalistes nous racontent leur rencontre avec un grand prédateur : loup, lynx ou ours. Souvent avec le sentiment que, des deux, c’est l’animal qui maitrise le mieux la situation.
Bon an mal an, les grands prédateurs se réinstallent dans les montagnes françaises. Loups, ours et lynx cohabitent aujourd’hui avec les humains sur les espaces de moyenne ou de haute montagne. Si les médias se font l’écho des conflits que cette cohabitation peut susciter, peu d’histoires rendent compte de la vie quotidienne entre ces différents habitants des montagnes, et notamment du moment particulier de la rencontre. Une rencontre toujours furtive et inattendue, souvent inquiétante et émerveillée. Les témoignages qui suivent, recueillis par Reporterre, ne disent pas si la présence des grands prédateurs est ou n’est pas une bonne chose. Ils racontent une rencontre avec des animaux sauvages qui transforme la perception que ces personnes ont de leurs lieux de vie et de travail.
« J’ai remarqué qu’il manquait une petite agnelle, une que j’avais repérée car elle était un peu maigre. En voyant quinze vautours qui volent au-dessus du parc de nuit, je me dis que le cadavre est là. Je décide d’aller voir sans les chiens de protection et sans mon chien de berger. Je pense que c’est important car sinon je ne l’aurai pas vu. J’y vais en vélo et je tombe nez à nez avec le loup. » Kevin Mouëzant garde 400 brebis dans une vallée boisée du Diois, dans la Drôme. « Ma première réaction, ça a été d’être surpris et ému pendant une seconde ou deux. Puis j’ai eu peur parce que le loup ne m’a pas regardé dans les yeux. J’ai cru qu’il ne m’avait pas vu. Je me suis demandé comment il allait réagir. La rencontre a duré trente secondes, il était à vingt mètres. Pour sortir du parc de nuit, il devait passer devant moi. Il est venu vers moi en trottinant, en m’ignorant. J’ai eu le temps de vivre la peur pour moi, puis de prendre des photos », raconte le berger de 29 ans. « Le loup est parti le long de la piste. Je suis allé chercher le cadavre de la brebis et je ne l’ai pas trouvé. J’ai eu un peu peur car l’éleveur m’avait dit qu’il y avait des meutes, c’est un endroit très boisé, je ne voyais rien. J’ai décidé de partir et, en remontant, je l’ai croisé. Il m’attendait le long de la piste forestière murée par des bois, et il s’est enfui dans les bois quand je suis arrivé à sa hauteur. »
« J’ai senti son odeur, une odeur forte, âcre »
Pierre Boutonnet est venu s’installer il y a sept ans à Villanueva de Santo Adrianno dans les Asturies, une zone de moyenne montage au nord-ouest de l’Espagne, pour vivre du tourisme lié à la présence de l’ours. La rencontre a eu lieu en août, « quand les ours se rapprochent des villages pour manger les fruits dans les vergers. Je me promène le soir tard dans un petit village des Monts Cantabriques en quête d’observations. Avec ma caméra thermique, je le repère dans un jardin en train de manger des figues. Il y a un portail entre nous, heureusement car il est à seulement quatre mètres de moi. À un moment, il se rapproche du portail, affairé à fouiller le sol. Il vient tellement près que j’ai senti son odeur, une odeur forte, âcre, un peu comme celle du cerf. Lui aussi m’a senti et il est parti. Je l’ai revu par la suite : il revenait toutes les nuits manger des fruits dans ce jardin. » Les rencontres avec l’ours, ce naturaliste ne les compte plus. « Souvent, je ne le vois pas mais je l’entends, toujours à farfouiller dans les broussailles. Des rencontres par surprise, ça m’arrive souvent. Dès que l’ours me repère, souvent avant moi, il a très peur et s’en va. Je vois juste son dos qui disparaît. »
Un lynx dans le Jura. © Noël Jeannot
Noël Jeannot est un des premiers à avoir vu le lynx dans le massif du Jura. C’était en 1988 mais le souvenir de sa première rencontre est vivace. Près d’un cadavre de chevreuil, il l’attend plus de dix heures sur son escarpolette suspendue à un arbre : « Tout à coup, j’ai l’impression que quelqu’un me regarde. Je me retourne. Il est derrière moi. Mon téléobjectif braqué dans le mauvais sens, je reste cinq minutes du mauvais côté à le regarder de travers. Le lynx est assis. Il attend. » Depuis, le retraité d’un centre de nature a souvent recroisé le félin dans les grandes forêts de résineux du Haut-Doubs, où il vit depuis plus longtemps que l’animal — ce dernier a été réintroduit en Suisse en 1974. « Parfois, le lynx me voit, il reste là, il ne se sauve pas spécialement. Les observateurs de loups ou de lynx racontent souvent que l’animal ne bouge pas quand il est observé. »
« Quand je me relève, j’ai un loup en face de moi »
Encore un berger et un loup. Un vacher plus précisément. Patrick Bernerd garde en estive plus de deux cents vaches et cent chevaux pour sept propriétaires différents dans la réserve naturelle du Vercors. Il se souvient de tous les détails de sa rencontre avec un loup, le 8 mai 2020, à trois heures de l’après-midi « précisément » : « Je suis en train de faire une clôture. Quand je me relève, j’ai un loup en face de moi. À vingt mètres. Tout près. Des yeux jaunes verts, un gros, 45 kilos, couleurs marron-gris. Là, ton corps bouge plus, ton cerveau non plus. Je n’avais rien. Je ne savais pas où était le chien. Les poils se redressent. Qui part ? C’est le loup qui est parti. »
Comment expliquer cette rencontre surprise ? Pour Patrick, elle a été possible grâce au confinement. C’est lorsqu’il retourne pour la première fois dans des alpages déserts qu’il tombe sur l’animal. « Le loup, il ne faut pas le chercher, c’est lui qui vient te trouver. Pourtant il est là, tous les jours à côté de toi. » Le prédateur sauvage l’observe donc, le plus souvent à son insu.
À ce titre, la rencontre n’en est une que pour l’humain, comme le raconte Kévin : « J’avais lu [le livre] Les diplomates de Baptiste Morizot en 2017. Il racontait que quand il avait vu le loup dans les Cévennes, pour lui c’était un événement et pour le loup c’était un non-événement. J’ai exactement le même sentiment. J’ai trouvé la disproportion dans la relation étonnante. » Le berger s’interroge encore : « Je m’attendais en croisant un animal sauvage à ce qu’il me regarde dans les yeux et qu’il fuit, et ça a été l’inverse, il ne m’a pas regardé et il n’a pas fui, poursuit le jeune homme. Il m’a forcément entendu arriver sur mon vélo, qui fait du bruit sur les cailloutis. Pourquoi est-ce qu’il m’a laissé approcher, pourquoi s’est-il laissé voir ? Peut-être un truc de démonstration de force, presque d’humiliation. C’est un peu fort, mais c’est pour forcer le trait : en mode, je suis là et je ne vais pas partir en courant parce que tu arrives. »
Un ours espagnol. © Noël Jeannot
Après une double attaque de son troupeau, Kévin a eu l’impression d’être sur le territoire du loup. « Le lendemain, je vois une crotte sur un chemin que je prends quatre fois par jour, devant ma caravane. S’il voulait que je la voie, il n’aurait pas été ailleurs. Ça crée le sentiment qu’il marque son territoire, qu’il se rend visible. Les éleveurs ont aussi ce discours : le sentiment de se faire narguer, que le loup les défie. » Patrick a lui aussi vu un deuxième loup, la même année. C’était dans le Trièves, cette fois, sur ce plateau agricole au sud de Grenoble où il élève à l’année quatorze vaches allaitantes. « Je travaillais sur mon tracteur en panne et, d’un seul coup, le réparateur se met à hurler. Le loup est en face de lui. Plus jeune, plus maigre, plus gris que l’autre. Il a pissé devant nous et il est parti. » Les hiérarchies se renversent : c’est l’animal qui maîtrise le territoire.
« Ça m’a énormément perturbé de devoir être armé »
« L’ours est un animal qu’on ne rencontre pas mais qu’on imagine en pistant ses traces. » Louis Espinassou, « montagnard naturaliste » selon ses termes, est passionné par l’ours depuis son adolescence. « J’ai pu l’observer trois fois, de loin, après huit années de pistage et de compréhension de ses habitudes. Je suis sûr qu’on s’est souvent rencontré mais avec son odorat, il m’a perçu avant que je ne le voie. Parfois, je suis sur une piste, je viens vers lui. Puis cette piste s’arrête brusquement, je sais qu’il est tapi quelque part et qu’il attend que je m’en aille. » L’éducateur à l’environnement est également berger dans la vallée d’Ossau au cœur des Pyrénées. Et là, c’est une autre affaire.
Louis explique qu’il a « toujours une appréhension dans la poitrine. Pour les bergers, c’est un poids sur nos épaules à la limite du supportable. En berger fromager, on a des rythmes de travail de 15-18 heures par jour. Donc on n’a pas beaucoup de temps pour se reposer, et avec la menace perpétuelle que l’ours attaque… La nuit, je dors habillé pour être opérationnel, les bottes en face de moi pour être prêt à intervenir en cas d’attaque. Pour l’instant, je n’ai pas eu de dégât. » L’ours n’a jamais disparu des Pyrénées mais son aire de répartition s’élargit dans les départements français. « Dans la vallée d’Ossau, nous avons toujours vécu avec les ours. Ils ont toujours bouffé nos brebis. Mais quand la pression a augmenté et que je me suis posé la question de dormir avec un fusil, ça m’a énormément perturbé de devoir être armé. » Il conclut : « Je vis avec deux vérités contradictoires et il faut que je me démerde. »
L’attaque n’est pas toujours aussi redoutée. « Une fois que tu es sûr qu’il y a de la présence lupine, tu es plus attentif aux signes des chiens, tu comprends mieux quand il est là. » Après avoir travaillé en Savoie dans les alpages, Kévin a choisi le Diois sachant que cette région abritait des loups : « Je cherchais à travailler dans un endroit boisé, un milieu fermé, là où il y a de la prédation. Je voulais voir comment ça se passait. C’est un choix technique. Ce qui est intéressant c’est moins la rencontre avec le loup que sa présence continuelle. Je ne suis pas tant fasciné par le loup que par le travail avec les patous. » Le jeune berger travaille avec deux chiens de montagne des Pyrénées en plus de son chien de berger, et a placé des filets pour parquer les moutons.
« Mon veau s’est fait manger. Aujourd’hui, ça ne me fait plus rien. Mais sur le coup, je voulais tuer le loup », commente Patrick : « Le loup, il restera. Comment faire ? La solution je ne l’ai pas. » L’éleveur reconnaît à ce grand mammifère une qualité : celle de savoir « gérer les bêtes malades ou faibles ». « J’ai perdu une génisse charolaise, probablement d’une crise cardiaque après avoir été coursée par des loups. Je me tourne vers des races plus rustiques, Aubrac, Salers, Herens. Des vaches de combat qui peuvent faire face au loup. Elles sont toujours prêtes à se battre. »
« Les chamois, c’est dépassé, les gens veulent voir des prédateurs »
La présence des grands prédateurs dépasse les seuls habitants de la montagne. Elle devient un attrait touristique majeur dans certaines régions. Noël Jeannot est un bon client, lui qui a vu les trois prédateurs dans la péninsule ibérique. « Je suis allée voir le loup avec mon épouse, en camping-car. On m’avait dit : allez vous poster là sur la piste forestière, en fin de journée, vous devriez les voir. On s’est installé avec les sièges, l’apéro, les olives et les jumelles. Et d’un seul coup, ils sont sortis, trois loups d’un coup, qui ont traversé la lande tranquillou. Le lynx pardel dans la sierra Morena crée des rassemblements de touristes encore plus impressionnants. Mon neveu y est allé. Ils étaient cent personnes à regarder deux lynx se bagarrer. J’ai aussi vu des ours à Somiedo. J’avais été arrêté par un garde-chasse car une oursonne rendait la zone dangereuse. Je me suis postée en hauteur et j’ai attendu jusqu’à voir un de ses petits traverser la route. »
Un lynx dans le Jura. © Noël Jeannot
Guide nature dans les Asturies, Pierre se félicite de cet engouement : « Les ours attirent les touristes. Il n’y en a jamais autant eu ici que depuis que l’ours est visible. À la différence de la France, l’ours n’est pas un mythe, trop sacralisé ou trop diabolisé, mais une banalité, l’ours a toujours été là. Là, il augmente. Ça ne se passe pas sans problème, mais ça passe. » Le tourisme de faune sauvage est en plein boom et la France s’aligne sur des pratiques déjà développées ailleurs en Europe, notamment en Espagne. « Aujourd’hui, tout le monde veut voir le loup. Les chamois, les bouquetins… c’est dépassé pour les touristes de montagne ; ils veulent voir des prédateurs », confirme Patrick. Dans les alpages où il garde les vaches, il préfère éluder le sujet : « À la question : “t’as vu le loup ?” Je dis non pour ne pas m’éterniser… »
Cet engouement, Noël Jeannot l’observe aussi pour le lynx. « Une crête rocheuse que j’étais seul à parcourir est aujourd’hui connue pour être un passage de lynx : six pièges photographiques y sont installés ! » Didier Pépin, auteur de La forêt du lynx (éd. La Salamandre, 2014) a décidé de ne plus contribuer à la médiatisation de l’animal. « Le lynx, comme d’autres espèces sensibles, moins on en parle, mieux il se porte. Je suis mal placé pour le dire puisque j’ai écrit un livre, fait des conférences, des expositions… Mais à l’époque, on était peu nombreux. Aujourd’hui, il y a des cohortes de photographes animaliers, des pièges photo partout, des clichés repris dans la presse… Certains chasseurs n’attendent que ça : pouvoir dire qu’il y a trop de lynx. La fédération de la chasse du Jura a déjà demandé des tirs de régulation. »
Les livres de La Petite Philosophie du voyage sont nés de cette conviction : le plus beau des voyages n’est pas le plus exotique, le plus lointain, mais celui qui nous rend heureux d’être vivant. Des bistrots à la toundra en passant par le tango, cette collection aux 60 titres regorge d’immersions revigorantes.
Pour faire un beau voyage, on peut embarquer pour un tour du monde, on peut aussi se contenter de suivre des yeux les envolées d’une feuille au gré du vent, et redécouvrir le silence, porte ouverte sur la plénitude. Qu’importe la destination, pourvu qu’on « instaure une puissance de relation avec le monde », soutient Émeric Fisset, le créateur de la Petite Philosophie du voyage aux éditions Transboréal. Une conception qui imprègne son Ivresse de la marche, récit d’une traversée en solitaire de l’Alaska sans assistance, et l’ensemble du catalogue de cette collection.
Elle comptera bientôt soixante titres, qui « représentent toutes les formes de voyage », explique l’éditeur : le voyage intérieur, celui qui permet de redécouvrir la puissance de l’imaginaire ou les relations privilégiées (Le Voyage immobile ; Le Prodige de l’amitié) ; le voyage que l’on peut faire à travers des pratiques sportives ou des modes de déplacement (L’Extase du plongeur ; Le Tao du vélo) ; des univers culturels (L’Écho des bistrots, L’Esprit du geste) ; des écosystèmes (Le Murmure des dunes, L’Hymne aux oiseaux) ; voire en réfléchissant sur le voyage lui-même (L’Appel de la route, L’Écriture de l’ailleurs)…
« La forêt est un espace habité, au sens biologique du terme, au sens également de toutes les strates et ramifications de mythologies, légendes, mystères, contes et cultes qui prennent la consistance d’un humus profond dans lequel, à notre tour, nous sommes invités à enraciner notre légende personnelle, c’est-à-dire à exister par nous-mêmes », Rémi Caritey, Le Vertige des forêts. © Rémi Caritey
On aura d’autant plus de plaisir à s’enfoncer dans ces brefs mais denses récits (une centaine de pages) qu’ils sont écrits par des « passionnés plutôt que par des intellectuels », dit Marc Alaux, coéditeur. Des personnes qui connaissent bien le terrain et nous offrent la joie d’immersions ressenties, documentées et méditées. C’est le cas des auteurs férus de nature dont nous allons explorer les livres. Notamment Anne-Laure Boch, neurochirurgienne et alpiniste amatrice (L’Euphorie des cimes), Rémi Caritey, photographe et grimpeur-récolteur (Le Vertige des forêts), Émeric Fisset, éditeur et grand voyageur (L’Ivresse de la marche), ou Christophe Houdaille, navigateur solitaire (Le Chant des voiles). Tous nous racontent pourquoi, dans ces territoires sauvages (selon le dictionnaire, « qui n’ont pas subi l’action humaine »), ils se sentent profondément vivants, nourris sensoriellement et psychiquement. Davantage, soulignent-ils à l’unisson, que dans notre société moderne, qui « fait l’Homme à l’âme terne » parce qu’elle l’embrigade sans lui donner accès à sa propre valeur.
Communier avec le paysage, et vivre à son rythme
Dès que l’on prend le temps de l’observer, de le laisser se découvrir, un paysage cesse d’être une image. Il prend corps, se fait sphère d’énergie communicative. En forêt, par exemple, à regarder les moirures de la lumière sur les feuilles, emportées dans un cycle incessant d’engendrements et d’évanouissements, le promeneur entre dans un léger état d’hypnose. Il quitte sans même s’en apercevoir la roue des ruminations, le corps enivré par un foisonnement de sons, de formes et de couleurs — on compte environ 3 000 fruits dans la forêt tropicale, dont 200 à peine sont consommés, détaille Rémi Caritey dans son grisant Vertige des forêts. Un état de plénitude physique que le navigateur Christophe Houdaille ressent aussi en mer, notamment lorsque la nuit tombe. Le ciel apparaît alors « comme nulle part ailleurs : dense, profond, scintillant de myriades d’étoiles, et l’on peut rester des heures dans sa contemplation ».
Mais un paysage sauvage n’est pas seulement beau, il parle à l’être humain en quête de mieux-vivre. Dans sa poétique Vertu des steppes, Marc Alaux observe que les steppes, horizontales et dépouillées, enseignent à se libérer de l’angoisse du vide et à adhérer à « l’école du présent ». Quant à Rémi Caritey, il redonne corps au « sauvage en nous ». Et que veut-il cet être qui renaît à la faveur du silence, de la vacuité, de laquelle ressurgit la vraie valeur des choses ? « Le privilège de la lenteur. Vivre au rythme de ses rêves. Célébrer la beauté de toute chose. Mesurer son action à l’aune de son corps, de son âge, de la simplicité de ses besoins. » Guère compatible avec l’idéologie de la performance… Serait-ce pour cette raison que l’on parle encore si peu, dans notre société, des bienfaits du monde sauvage ?
« La beauté de la nature est intérieurement la nôtre, et la sérénité ne naîtra d’aucune tentative de saisie, mais simplement de la reconnaissance de notre appartenance essentielle à cette beauté », Rémi Caritey, Le Vertige des forêts. DR
On peut pourtant vivre au cœur de ce monde des expériences existentielles vraiment déterminantes. De celles qui aident à développer une qualité d’être, en conscientisant la mort ou la joie de l’accomplissement de soi. Dans Le Chant des voiles, Christophe Houdaille nous en raconte une, devenue l’un des moments les plus intenses de sa vie. Se débattant au milieu d’une puissante tempête avec Saturnin, son voilier, il vit arriver la dernière « culbute ». Pourtant il se sentait alors si profondément lié à ce milieu, qui n’était plus que splendide explosion de houles et de lumières, qu’il n’a ressenti aucune angoisse. Il accepte d’en subir les conséquences, « fusionnant avec les éléments comme les oiseaux qui replient leurs ailes pour étaler la tempête ».
De même, c’est au cœur des abîmes bleutés de la haute montagne que l’alpiniste Anne-Laure Boch, par ailleurs neurochirurgienne reconnue, se sent « tout entière réconciliée avec son être, reconnue par le monde, à sa place ». Encouragée par ces métaphores minérales de l’élévation que sont les pics et sommets neigeux, elle déplace ses limites physiques et morales, heureuse d’être redevenue un individu singulier, quand la vie urbaine ne lui donne plus que le sentiment de « participer à un flux ».
Grandir dans sa propre histoire comme un arbre s’élève vers le ciel
Voyager dans le monde sauvage, c’est aussi renouer avec l’émerveillement de l’enfance (« aborder une île en voilier, c’est éprouver dans sa chair les rêves mystérieux de l’enfance ») ou le charme des rencontres improbables. « Bergers, bûcherons, pêcheurs, dont la vie s’entrouvre spontanément au passant », raconte Émeric Fisset, ou animaux aussi curieux de nous que nous pouvons l’être d’eux. Dans L’Ivresse de la marche, cet intrépide voyageur nous rend sensibles ces moments où la barrière culturelle entre espèces vacille, et où l’on redécouvre notre commune condition de vivant avec les animaux. Dépendant de la nature pour survivre lors de ses marches en solitaire, il grappille, comme eux, « les fruits et les baies en chemin, [se sent] guilleret comme la mésange sous l’éclaircie, inquiet comme l’hirondelle avant l’orage [et] emprunte — empreinte — les mêmes itinéraires ». Jusqu’à ce jour pluvieux où il tombe nez à nez avec un ours brun. Contre toute attente, ce « magnifique cousin va-nu-pieds » passe son chemin, plus pressé d’aller s’abriter que d’honorer sa réputation d’animal dangereux.
« Il faut parfois se sentir vulnérable pour s’interroger sur la finalité de l’existence, et, partant, sur ce qui vaut d’être vécu », Christophe Houdaille, Le Chant des voiles. Côte de Porto Moniz, sur l’île de Madère (Portugal). CC BY-SA 3.0 / Wikimedia Commons / H. Zell
Un des bonheurs de lecture des ouvrages de cette collection réside aussi dans leur construction cubiste : le motif étudié est saisi sous plusieurs angles (anthropologique, historique, botanique, etc.), ce qui lui donne une densité psychique exceptionnelle. Le lecteur est ainsi invité à se souvenir que l’espèce humaine a médiatisé au fil du temps, au travers de rites et légendes, ses relations avec le monde naturel. Au Sénégal, dans la région de la Casamance, raconte par exemple Rémi Caritey, la fabrication du vin de palme avec la sève du palmier donne toujours lieu à une cérémonie étonnante. Chacun en boit un verre en souhaitant s’élever dans la vie comme l’arbre qui monte vers le ciel, pour grandir dans sa propre histoire, exister par lui-même. Un rite auquel on participerait volontiers, en rêvant avec Rémi Caritey d’« une écologie politique [qui] ose se refonder dans ce creuset de l’animisme et du sacré ». Mais peut-être faudrait-il d’abord reconnaître que l’écologie est aussi un voyage, de ceux qui appellent à renouer avec le sens premier du mot « con-naître » : naître avec. Pour un prix modeste de huit euros, les livres de la Petite Philosophie du voyage nous y invitent délicieusement.
La Petite Philosophie du voyage, aux Éditions Transboréal, 8 euros l’exemplaire.