Pour la 39e fois, le Festival de Ménigoute vous remercie chaleureusement.
Malgré les intempéries, les sourires étaient sur tous les visages. Le président du Festival, Éric Bonnet, l’a souligné lors de la cérémonie de clôture : le soleil était parmi le public.
Nourrir et encourager la curiosité pour la nature, toujours et à tout âge. Chérir l’artisanal savoir-faire et le goût du partage. Continuer de danser, surtout ne pas cesser de s’émouvoir.
En somme, suivre en conseil le naturaliste, photographe et auteur de talent Michel Munier en faisant passer par le cœur ce qui passe par la tête.
Le jury de l’édition, avec Marie Amiguet à sa présidence, a reflété l’état d’esprit du Festival avec comme volonté nette d’honorer l’éthique dans le cinéma animalier.
Le sensationnel s’offre à la patience et aux passionné.es. Véronique, Anne & Erik Lapied en sont de véritables étendards et insistent sur l’importance du respect de la nature pour la réalisation de films qui la défendent. Hors de question de mettre en scène et d’occasionner du dérangement pour la faune et la flore avec le grand prix du Festival de Ménigoute signé Lapiedfilm, Sauvage, le chamois, l’aigle et le loup.
SAUVAGE, LE CHAMOIS, L’AIGLE ET LE LOUP, Lapied Véronique, Anne et Erik
Lapiedfilm, 62 min, 2023, France
LE GRAND PRIX DU FESTIVAL DE MÉNIGOUTE — 3 000€
Offert par le Département des Deux-Sèvres.
Un trophée « Le Lirou d’or » est offert par le Groupe Ornithologique des Deux-Sèvres (GODS).
Il récompense le meilleur film.
LE TEMPS DES VAUTOURS, Rondeau Emmanuel
Pernel Media, 50 min, 2022, France
PRIX PAUL GÉROUDET — 2 000€
Offert par la société « Nos oiseaux » et par son groupe de jeunes,
en partenariat avec « Aster » Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Savoie,
l’association « Vautours en Baronnies » et la Société zoologique de Genève.
Il récompense le meilleur film ornithologique.
CATHÉDRALE SAUVAGE, Chambin Cédric
ERE productions, 73 min, 2022, France
PRIX DE LA PROTECTION DE LA NATURE — 1 000€
Offert par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et le Festival de Ménigoute.
Il récompense le meilleur film pour ses qualités en matière de sensibilisation du public à la nécessité de protéger notre patrimoine naturel.
SOUS LES TRANSATS, Bollet Sacha et Demarle Benoît
Cicada Production, 52 min, 2023, France
PRIX DES CLUBS CONNAÎTRE ET PROTÉGER LA NATURE — 1 000€
Offert par les clubs CPN.
Il récompense le meilleur documentaire à vocation pédagogique.
MONGOLIE, LA VALLÉE DES OURS, Sardar Hamid
LATO SENSU Productions, 87 min, 2023, France
PRIX DU JURY — 1 500€
Offert par les commerçants et artisans du canton de Ménigoute.
Il récompense le « coup de cœur » de la sélection. Il est accompagné d’un trophée Leica.
Groupe d’oies cendrées volant au dessus du viaduc de Millau, Vallée du Tarn, Aveyron. C’est la combinaison de plusieurs systèmes de navigation qui permet aux animaux tels les oiseaux migrateurs d’effectuer de longs trajets sans se perdre.
Compas céleste, chronomètre interne et mémoire exceptionnelle permettent aux animaux de se projeter aussi bien dans le passé que dans le futur pour prendre des décisions. Quatrième volet de notre série d’été consacrée à l’intelligence animale.
Imaginez un être de quelques millimètres de long à peine, capable de parcourir plusieurs centaines de mètres pour trouver de la nourriture et de revenir sans se perdre à son point de départ, chargé du précieux butin. Cet exploit, des milliards de fourmis l’accomplissent chaque jour partout sur la planète. Et malgré la petite taille de ces insectes, il n’est pas resté longtemps inaperçu des naturalistes… « Au XIXe siècle déjà, Darwin s’émerveillait de la façon dont les insectes sociaux, abeilles, fourmis, arrivaient à retrouver leur nid et, dès les années 1880, les scientifiques comme le Français Jean-Henri Fabre se sont employés à déplacer des fourmis et n’ont pu que confirmer leur incroyable sens de la navigation », rappelle Antoine Wystrach, éthologue au Centre de recherches sur la cognition animale1 à Toulouse. La question, dès lors, n’a cessé de se poser : mais comment font-elles ?
Observation du comportement de navigation d’une fourmi « Cataglyphis velox », se déplaçant sur une boule flottant sur un coussin d’air, tel un tapis roulant omni-directionel. Son comportement est étudié par Antoine Wystrach, chercheur en neuroéthologie au Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA). Les comportements de navigation visuelle des fourmis sont des exemples remarquables de la capacité des mini-cerveaux à produire des comportements sophistiqués, dans des environnements complexes. Les travaux d’Antoine Wystrach visent à disséquer les mécanismes neuronaux qui sous-tendent la navigation de ces insectes. Il développe de nouveaux outils originaux, comme une technologie permettant le contrôle total de l’information sensori-motrice perçue par des fourmis, alors qu’elles naviguent dans des reconstructions en réalité virtuelle de leur environnement naturel. Ceci permet d’effectuer de nouvelles manipulations expérimentales, qui ne sont pas limitées par les contraintes habituelles du monde réel. Ses travaux lui valent de recevoir la médaille de bronze du CNRS 2021. UMR5169 Centre de Recherches sur la Cognition Animale 20220028_0002
Étude des capacités de navigation des fourmis au Centre de recherches sur la cognition animale. Au XIXe siècle déjà, Darwin s’émerveillait de la façon dont les insectes sociaux arrivaient à retrouver leur nid.
L’exemple des fourmis d’Australie étudiées par l’éthologue donne un bon aperçu de leurs incroyables compétences. « Sur le terrain, il arrive que le vent souffle fort et que des bourrasques projettent les fourmis à plus de dix mètres sans jamais réussir à les perdre, puisqu’elles retrouvent systématiquement leur nid ! » témoigne le chercheur, qui a décidé de reproduire l’expérience avec un souffleur de feuilles, afin de mieux comprendre les stratégies à l’œuvre. Il a alors observé un drôle de comportement : juste avant d’être soufflées, les fourmis s’accrochent au sol avec leurs pattes et semblent lire leur orientation dans le ciel. « Leurs antennes permettent de détecter la direction du vent par rapport à leur corps – est-ce qu’il vient de leur gauche, de leur droite, de derrière…, explique l’éthologue. Combinée à la lecture du ciel, cette information leur permet d’en déduire d’où souffle le vent par rapport à celui-ci. » La preuve par l’expérience : lorsque les chercheurs bloquent leur accès au ciel au moment où elles s’arc-boutent au sol, les fourmis sont dans l’incapacité de retrouver leur chemin.
La fourmi, le podomètre interne et le compas céleste
La navigation chez tous les animaux, grands ou petits, combine en réalité deux stratégies universelles : l’intégration du trajet, qui permet à l’animal d’avoir une première estimation de la distance parcourue et de la direction prise, et l’utilisation de repères terrestres mémorisés. « Les fourmis du désert sont les championnes du monde d’intégration du trajet, raconte Antoine Wystrach. Elles estiment la distance parcourue au nombre de pas qu’elles font – on parle de podomètre interne, car si on les équipe de petites échasses à l’aller et pas au retour, cela brouille leur estimation ! –, et évaluent la direction grâce au compas céleste : la position du Soleil dans le ciel, la polarisation de la lumière (que l’œil humain ne perçoit pas), la variation d’intensité de la lumière dans le ciel, mais aussi le changement subtil de couleurs (plus vert côté soleil, plus ultraviolet de l’autre côté)… sont autant d’indices qui font de ce compas céleste un instrument très fiable. » Avantage de l’intégration du trajet : cette technique fonctionne dès la toute première sortie du nid. Inconvénient : utilisée seule, elle ne permet pas à la fourmi de retrouver son chemin si elle est déplacée à vingt mètres de son nid.
La navigation chez tous les animaux, grands ou petits, combine deux stratégies universelles : l’intégration du trajet, qui permet à l’animal d’avoir une première estimation de la distance parcourue et de la direction prise, et l’utilisation de repères terrestres mémorisés.
C’est là qu’intervient la seconde stratégie : celle des repères terrestres. On ne parle pas ici de mémoriser telle branche ou tel caillou, croisés en chemin… Ce sont en effet des scènes visuelles complètes que les fourmis « impriment » tout au long du parcours. Leur vue à très basse résolution et leur champ visuel à 300 degrés leur permettent d’embrasser toute une scène en un seul coup d’œil, sans détails superflus, et donnent une signature spécifique à chaque endroit traversé.
« En réalité, ces différentes techniques de navigation sont plus ou moins sollicitées suivant les espèces, explique Antoine Wystrach. Celles du désert feront plus confiance à l’intégration du trajet, tandis que les espèces qui vivent en forêt feront davantage appel aux repères terrestres. Mais c’est bien la redondance des systèmes utilisés qui permet à toutes d’effectuer des trajets de plus en plus précis et de revenir en ligne droite au nid, une fois la nourriture trouvée. » Il n’y a rien de mécanique dans ces comportements : on voit durant la phase de développement des jeunes fourmis leurs compétences en navigation se renforcer à mesure que les jours passent, preuve que l’apprentissage et l’expérience sont primordiaux pour le développement de ces capacités cognitives.
Fourmi « Melophorus bagoti » d’Australie. Cette image a été réalisée dans le cadre de recherches sur l’aversion au risque comme stratégie de survie chez deux espèces de fourmis, « Melophorus bagoti » d’Australie et « Cataglyphis fortis » du Sahara. Ces fourmis sont capables, pour éviter les pièges, de changer de trajectoire grâce à un mécanisme d’apprentissage aversif. Elles associent des repères visuels à des expériences négatives, elles mémorisent les traces d’un parcours potentiellement risqué. UMR5169 Centre de Recherches sur la Cognition Animale 20200038_0002
Les fourmis « enregistrent » des scènes visuelles complètes tout au long du parcours, ce qui leur permet de rebrousser chemin sans se perdre.
La carte mentale du chimpanzé
Plus proches de nous génétiquement, nos cousins chimpanzés ont révélé très récemment des qualités de navigation qui dépassent pourtant de loin les aptitudes des humains ordinaires : ils utilisent pour s’orienter une véritable carte spatiale mentale. À l’origine de cette découverte, Christophe Boesch, primatologue, directeur émérite à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig, en Allemagne, travaille depuis plus de quarante ans au cœur du parc national de Taï, en Côte d’Ivoire. « C’est un environnement de forêt tropicale humide extrêmement dense, dont la canopée se situe à environ une trentaine de mètres de hauteur. De celle-ci, émergent de grands arbres d’une cinquantaine de mètres de haut, tandis que de plus petits se développent plus bas. Sans boussole, un humain qui décide de s’y aventurer se perd dans les 20 premiers mètres. Mais les chimpanzés, eux, évoluent avec aisance sur des territoires de 25 à 30 kilomètres carrés. »
Pour comprendre comment ces primates arrivent à s’orienter dans un milieu aussi complexe, une seule solution : se munir de GPS et les suivre dans la forêt dense, afin de cartographier leurs moindres déplacements. Mais pour cela, le chercheur a dû s’armer de patience. À la différence des études menées en captivité, de loin les plus nombreuses chez les primates, étudier les capacités cognitives des grands singes en milieu naturel demande du temps, beaucoup de temps : il faut près de cinq ans pour qu’un groupe de chimpanzés s’habitue à une présence humaine…
Eastern Chimpanzee (Pan troglodytes schweinfurthii) males walking along forest floor, Gombe National Park, Tanzania
Pour trouver les fruits juteux et sucrés qu’il affectionne, le chimpanzé est capable de parcourir chaque jour une distance de 5 à 10 kilomètres dans la forêt dense.
Pour trouver sa nourriture favorite, les fruits juteux et sucrés qui poussent surtout sur les grands arbres émergents, les plus rares dans la forêt, le chimpanzé est capable de parcourir chaque jour une distance de 5 à 10 kilomètres dans la forêt humide. « Nous avons fait une carte complète de tous les arbres de la forêt où les chimpanzés vont manger, ce qui représente près de 15 000 végétaux. Puis nous avons retracé tous les trajets des chimpanzés sur ce territoire durant cinq années. Cela nous a permis de voir s’ils allaient au hasard lorsqu’ils quittaient leur nid, ou s’ils avaient un but précis. »
La notion du temps qui passe
Résultat : non seulement les singes vont en ligne droite d’un arbre à l’autre, en cheminant au sol, mais ils accélèrent à l’approche de leur destination. Comme s’ils avaient une carte mentale précise de la position des arbres qui les intéressent, mais aussi des distances entre ceux-ci. Autre motif d’étonnement : ils se souviennent de la production de fruits d’un arbre et y reviennent la saison suivante au moment de la fructification. « En forêt tropicale, la fructification des arbres peut être très erratique, complète Christophe Boesch. Certaines espèces produisent des fruits tous les ans, d’autres tous les quatre à cinq ans. Quand les chimpanzés inspectent la forêt et qu’ils repèrent un arbre “ irrégulier” en train de fructifier, ils vont inspecter tous les individus de la même espèce. » Preuve que ces primates ont de solides connaissances botaniques en plus de leurs capacités de navigation, puisqu’ils savent différencier les espèces d’arbres et connaissent leurs cycles. Preuve, aussi, qu’ils ont la notion du temps qui passe et sont capables de se souvenir des événements du passé pour prendre des décisions dans le présent.
Cette mémoire des événements, dite « mémoire épisodique » (que s’est-il passé, où, quand ?), les humains, qui s’en croyaient les seuls détenteurs, l’ont longtemps refusée aux animaux. Mais comme de nombreux autres supposés « propres de l’homme », force est de constater qu’elle est bien présente dans le monde animal, comme le raconte l’éthologue Christelle Jozet-Alves, au laboratoire d’Éthologie humaine et animale2 à Caen. « Depuis le début des années 1970 et les études menées chez l’humain après des traumatismes cérébraux, on fait la distinction entre deux types de mémoire, explique la chercheuse. La mémoire sémantique, qui est la mémoire factuelle de toutes les connaissances que nous avons sur le monde qui nous entoure, et la mémoire dite “épisodique”, qui est la mémoire des événements personnellement vécus et ancrés dans un contexte spatio-temporel. C’est cette mémoire épisodique qui est par exemple défaillante chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. »
Les humains ont longtemps cru être les seuls à posséder une mémoire des événements, dite « mémoire épisodique » (que s’est-il passé, où, quand ?). Mais comme de nombreux autres supposés « propres de l’homme », force est de constater qu’elle est bien présente dans le monde animal.
Le geai buissonnier a pour habitude de cacher sa nourriture dans une centaine de cachettes différentes et de la récupérer parfois jusqu’à une année plus tard.
Faute de pouvoir interroger les animaux pour savoir s’ils avaient des souvenirs, on s’était imaginé que ceux-ci en étaient dépourvus… Jusqu’à la petite révolution intervenue à la fin des années 1990 : un travail mené à Cambridge sur les geais buissonniers, une espèce de corvidés qui a pour habitude de cacher sa nourriture dans une centaine de cachettes différentes et de la récupérer parfois jusqu’à une année plus tard. « En leur fournissant à la fois des vers frais, leur péché mignon, et des noix, on s’est rendu compte qu’une fois passée la date de péremption des vers frais, qui ne présentaient alors plus d’intérêt pour eux, les oiseaux ne ciblaient plus que les cachettes où ils avaient placé les noix. Preuve qu’ils ont la notion du temps qui passe, et des souvenirs spatio-temporels précis. »
Questions pour une seiche
Christelle Jozet-Alves s’est intéressée, elle, à un tout autre genre d’animaux : les céphalopodes. « Si on connaissait leurs exceptionnelles capacités de camouflage, les scientifiques ne s’attendaient pas à grand-chose sur le plan des capacités cognitives de ces invertébrés », raconte la chercheuse, qui a pourtant réussi à démontrer dès 2013 qu’on les avait sous-estimés : quand il s’agit de déguster sa nourriture préférée, en l’occurrence la crevette par opposition au crabe, la seiche démontre qu’elle a tous les attributs d’une mémoire de type épisodique. Elle est capable de faire des voyages mentaux dans le passé, mais aussi dans le futur, pour prendre des décisions dans le présent. Ainsi, quand les seiches qui évoluent dans les aquariums du laboratoire ont la possibilité de manger des crevettes le soir, et qu’on leur présente du crabe dans la journée, elles finissent par délaisser le crabe pour ne manger que les crevettes du soir ; mais si la présence de crevettes le soir devient imprévisible, il leur faut trois jours à peine pour changer de comportement et manger systématiquement le crabe qu’on leur présente en journée.
Cuttlefish, sepia sp.
La seiche possède une mémoire remarquable des événements du passé.
Jamais en manque d’inspiration, les chercheurs vont même jusqu’à poser des questions aux seiches afin de tester leurs souvenirs ! Comme dans cette expérience où la seiche doit toucher avec un tentacule l’un des trois panneaux qu’on lui présente – chaque panneau portant un symbole différent. « On la met dans trois situations : soit face à une proie enfermée dans un tube (stimulus visuel), soit face à une odeur (stimulus olfactif), soit on lui présente un tube vide et pas d’odeur (rien, donc), et après une période d’apprentissage, la seiche arrive sans peine à désigner le panneau correspondant à chaque situation », rapporte Christelle Jozet-Alves.
Une mémoire liée au mode de vie
L’expérience en tant que telle peut alors débuter : l’éthologue refait l’exercice, puis tourne les talons sans poser de question. Trois heures plus tard, elle revient et présente deux panneaux seulement, « je vois » ou « je sens », sans refaire de manipulation. La logique voudrait que la seiche désigne le panneau « rien », mais celui-ci n’est pas proposé… Comprenant qu’on l’interroge sur le précédent exercice, le céphalopode désigne alors le panneau correspondant à ce qui s’est produit trois heures plus tôt.
En matière de déduction, Sherlock Holmes ne ferait pas mieux ! « On a fait cette expérience avec plusieurs individus, une fois par individu, et on a eu 100 % de succès », s’émerveille encore la chercheuse, qui explique l’excellente mémoire de la seiche par son mode de vie très particulier : « La seiche vit 23 heures sur 24 camouflée et se déplace une heure par jour seulement pour chercher sa nourriture, car elle a énormément de prédateurs. Durant ce laps de temps très court, elle doit savoir exactement où aller, quand, et revenir au plus vite à son point de départ. »
Fascinée depuis l’enfance par les céphalopodes, Christelle Jozet-Alves témoigne avoir changé de regard sur ces animaux depuis qu’elle a découvert leurs remarquables capacités cognitives et ne cache pas les contradictions auxquelles son métier l’expose : « La captivité permet de faire progresser la connaissance et le regard que l’on porte sur cet animal, mais elle pose en retour au chercheur que je suis de vraies questions éthiques. » ♦
Tous moteurs éteints, écoutons les oiseaux en nous abstenant d’être bruyants. – Sue Cro / CC BY-NC 2.0 / FlickrBaleines, oiseaux, rats, humains… Le bruit, ce déchet invisible, nous empoisonne, écrit l’écologue Jacques Tassin, qui vient de publier « Écoute les voix du monde ». Il estime que « nos sociétés sont malades de ne plus savoir écouter. »
Jacques Tassin est écologue au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et membre correspondant à l’Académie d’agriculture de France. Spécialiste des relations entre humains et nature, il est l’auteur de Pour une écologie du sensible (Odile Jacob, 2020) et Écoute les voix du monde (Odile Jacob, 2023).
Nous vivons dans un monde entre-tissé de voix, qui dégagent du sens par-delà l’invisible de la nuit ou du lointain, et révèlent la part merveilleuse du monde. Ces voix nous portent et nous parlent, sans même que nous y prêtions attention. Même les productions sonores abiotiques – tonnerre, murmures de pluie ou roulement des vagues – demeurent porteuses de sens et sont interprétables. Les plantes, sait-on depuis peu, sont sensibles aussi aux vibrations sonores. Tout comme les arbres, d’une certaine manière, écoutent. Mais le bruit contemporain, cet immondice de nos sociétés industrieuses, brouille l’accès à ces réalités sensibles du vivant. L’Anthropocène se double de Thorivocène (du grec thóryvos, bruit), ère du vacarme et de l’irrelationnel.
Les zones indemnes de pollution sonore ont chuté de 50 à 90 % depuis le début de l’essor industriel, au XIXe siècle, et les villes sont elles-mêmes devenues invivables. Dans le seul cœur de l’Île-de-France, le bruit causé par les transports entraîne, pour chaque habitant, une perte de onze mois de vie, soit une perte globale de 108 000 années de vie en bonne santé. Plus de 70 % des Parisiens sont incommodés par le bruit, fenêtres à double vitrage pourtant fermées. Et dans les environnements lycéens, l’écoute au casque de musiques amplifiées conduit aujourd’hui un élève de terminale sur sept à devoir s’accommoder d’une oreille vieillie de trente ans. Le bruit se glisse partout. Et, partout, il altère l’écoute.
Mais nous ne sommes pas seuls à en souffrir. Agissant tel un interrupteur relationnel, le bruit fait barrage à l’écoulement du vivant. Il obstrue la libre circulation des voix, multiplie les accrocs dans le tissu serré des relations entre êtres vivants. L’anthropophonie a désormais envahi les espaces marins en y multipliant les ronflements assourdissants des navires, les percussions répétées des prospections minières et autres problématiques sonars militaires. Elle est l’une des sources des emblématiques échouages de cétacés.
Mais son impact écologique total, alors que les océans abritent plus de la moitié de la biodiversité mondiale, demeure incommensurable. Tous les organismes marins, des poissons jusqu’aux huîtres, que l’on voudrait croire insensibles, souffrent profondément du brouillage de leurs repères sonores. Les baleines, par exemple, auraient connu une réduction de 90 % de la zone dans laquelle elles peuvent s’entendre. Des animaux marins abandonnent leur habitat favori, modifient la périodicité et le volume de leurs appels, voire changent d’appel pour pouvoir encore communiquer, ou même cessent de se nourrir. Le silence de la mer, jadis traversé d’admirables polyphonies vivantes interprétées par d’innombrables et talentueuses sirènes, s’est transmué en invivable raffût.
Cela ne va guère mieux pour les espaces terrestres. Chez l’alouette des champs ou le vanneau huppé, la diminution des effectifs en période de nidification peut atteindre 40 % à 1 500 mètres de distance des axes routiers. Comment en effet vivre en oiseau lorsque son chant n’est plus même audible ? D’évidence, le bruit dérange l’ensemble du vivant, et l’appauvrit en faisant fuir des oiseaux pollinisateurs.
Il peut aussi altérer directement sa santé. Dans le cerveau des rats, par exemple, l’exposition prolongée au bruit entraîne un état inflammatoire propice à la maladie d’Alzheimer ou d’autres pathologies proches, en association avec une dégradation du microbiote intestinal. Des souris immergées dans des ambiances bruyantes développent quant à elles des pathologies cardiaques. En somme, les méfaits du bruit ne connaissent aucune limite.
Le bruit nous coupe du monde
Au-delà de ses ravages sanitaires, le bruit nous coupe du monde. Comme un voile, il en recouvre les beautés. Il crée des absences, des troubles, des espaces de non-expression et de non-reconnaissance. D’origine souvent anonyme, il tient du déchet invisible et nous empoisonne.
Il demeure lié à l’indésirable, au non-intentionnel, telle une trace flottant dans le sillage de nos activités industrieuses. Il est cet indiscipliné qui traîne par-delà les rues et les villes, ne s’adresse à personne et, au bout du compte, ne dit rien. Il n’a pas de sens mais, toujours, il est une gêne, une atteinte à la qualité de vie. Perçu et ressenti, il est autant psychologique qu’acoustique.
Dans ses correspondances avec Maupassant, Flaubert défendait l’idée selon laquelle les relations entre les êtres humains constituent la seule réalité. Privé de relations, l’individu deviendrait une abstraction. Mais cela vaut pour tout être vivant. Les modulations sonores du vivant créent en effet des mondes imbriqués desquels se dégage une trame commune sensible : vent, eau, air, pluie, insectes, oiseaux, mammifères… Dans la mesure de ses capacités perceptives, chaque être vivant traverse son existence à l’écoute de ces autres voix tandis qu’il dispense la sienne autour de lui.
Nos sociétés sont malades de ne plus savoir écouter et de ne plus pouvoir s’entendre, à mesure qu’elles se répandent dans le bruit. Pourtant, dehors, camouflés dans les arbres reverdis, des oiseaux chantent et exultent. Rossignols et loriots viennent tout juste de nous rejoindre. Alors, tous moteurs éteints, écoutons-les en nous abstenant d’être bruyants. Peut-être sera-ce l’occasion de nous souvenir combien la vie est d’abord une constante mise en relation. Et combien nous ne pouvons nous-mêmes assurer notre plénitude existentielle qu’en prêtant attention à ce qui, précisément, se déploie intimement vers nous depuis l’invisibilité des voix.
Depuis la publication du « Printemps silencieux » de Rachel Carson, la catastrophe n’a, à notre désespoir, fait que s’approfondir. Pour reprendre pied dans ce monde abîmé, on peut passer par la poésie de Marielle Macé.
La Terre n’est pas muette, c’est nous qui ne voulons plus l’entendre ou qui tout simplement la faisons taire. Soixante ans après la publication du livre « Printemps silencieux » de Rachel Carson, le constat est plus flagrant. La Terre se dérobe sous nos pieds. Le vivant se meurt. Ce n’est pas tant l’accumulation de données quantitatives, de courbes et de statistiques qui nous le prouve qu’une blessure intime qui grandit à l’intérieur de nous, un sentiment de deuil et de perte, un mélange d’angoisse, de sidération et de colère qui nous saisit et nous consume.
Il y a dans notre époque un profond malaise. L’idée d’une perte inaltérable. Un besoin de consolation insatiable. Une nécessité d’émerveillement et de beauté alors que nous faisons l’expérience de la fragilité du monde autant que de la nôtre. Dans ces ruines, il nous manque de nouvelles couleurs, des repères auxquels se raccrocher, des bouées à agripper pour tenir face à l’adversité et affronter les tempêtes.
Comment habiter un monde abîmé?
Lire les livres de Marielle Macé peut nous donner cette force. Tracer des chemins d’espérance alors que tout semble sur le point de finir. Cette écrivaine, professeure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), tisse au fil de ses pages une éthique pour temps de crise où se marient l’humilité et la foi en la littérature. Avec comme seule arme la poésie, elle pose les questions qui nous assaillent : comment habiter un monde abîmé ? Comment se rattacher au vivant et se lier à sa symphonie alors que son chant s’estompe ? Comment parler de nature en période d’extinction ?
«C’est toute une aventure du sens et des sens qu’il faut reconsidérer : l’aventure de ce qu’est que voir, entendre, sentir», écrit-elle dans son dernier livre, Une pluie d’oiseaux, paru en avril. La quête qu’elle explore est immense et elle veut croire que nous sommes au seuil d’un point de bascule, non pas celui, si déprimant de la fonte de la banquise ou de la destruction de l’Amazonie, mais celui d’une nouvelle forme de sensibilité et d’attachement à ce qui nous relie.
«C’est un temps bizarre où les oiseaux, qui pourtant disparaissent, reviennent : reviennent dans notre champ de vision, notre attention, notre parole. Les oiseaux reviennent ou plutôt : on y pense plus souvent, on en parle davantage, on tend l’oreille, on tente de nouvelles conversations, on se cramponne à leurs bienfaits, on les regrette déjà. Comme si on essayait de les entendre mieux, (de les entendre enfin), au moment où ils s’en vont.»
La catastrophe ouvre la voie à une nouvelle type de relation au vivant, plus charnelle, plus vive. À l’affût du monde. Elle crée les conditions d’une perception élargie. Le partage d’une commune vulnérabilité. Nous sommes «soudés les uns les autres» dans le péril, et «l’ère de la négligence», dont Marielle Macé nous décrit les affres, pourrait bien voler en éclat. Avec son cortège d’affects négatifs : l’anesthésie, la désinhibition et l’incapacité à être durablement troublé ou à se savoir responsable. Nous voilà, au contraire, désormais à «l’ère de l’observance», à «écouter le chant abîmé de l’anthropocène, ce lamento opaque, ce poème criant troué de piaillements». Comme une élégie qui «nous plante l’extinction à l’intérieur».
Une amitié pour la vie
Avec la disparition des espèces, «quelque chose de très familier nous est progressivement retiré, rappelle l’écrivaine, quelque chose d’enveloppant et d’immémorial, la preuve et la célébration habituelle du monde, cet accès chantant à l’intensité du vivant». Quelle folie ont eu nos aînés de se croire à l’extérieur de cet immense orchestre, intouchables et imperturbables !
Il doit entrer dans l’écologie d’aujourd’hui quelque chose d’une «philia : une amitié pour la vie elle-même et pour la multitude de ses phrasés, un concernement, un souci», poursuit l’écrivaine. Il ne s’agit plus seulement de «penser la nature» mais d’abolir ce qui conduit à nous croire si distincts d’elle
Dans la lignée de ce qu’écrit Donna Haraway, il nous faut apprendre à «pleurer avec» pour à la fois penser et vivre, c’est-à-dire pour mesurer nos conditions réelles de vie et de mort, savoir de qui nous dépendons, qui dépend effectivement de nous, nous rappeler et dire à force de mélancolie ce à quoi l’on tient et qui nous tient.
Dans cette tâche ardue, la littérature a toute son importance et son actualité : «Pour un poète en effet, rien d’étrange à écouter les pensées de l’eau, de l’arbre, des morts, à s’adresser à eux, à leur poser des questions, à leur commander même», souligne Marielle Macé. La poésie est la dernière survivance de notre animisme. «Je crois que les poètes ont ici un temps d’avance, que la poésie offre des points d’appui pour penser et éprouver ce parlement élargi dont nous avons besoin», affirme-t-elle dans son livre Nos cabanes.
Braver le monde, attaquer les saccageurs
Prêter l’oreille, discerner, entendre le monde bruire d’idées, ça s’apprend. Et les poètes sont là pour ça. Les textes de Marielle Macé sont parsemés de poèmes, ils nous donnent à voir, pour paraphraser Francis Ponge, le parti pris des vivants.
Mais le poème seul, semble bien fragile pour faire face à la mégamachine qui arase la nature. Dans un même élan, Marielle Macé nous invite à déserter, à prendre exemple sur ces bâtisseurs de cabanes dans les zones à défendre, à qui elle rend hommage. « J’écris sous la dictée des plus jeunes — sous la dictée de leur vie matérielle, par gratitude et admiration pour ce qu’ils tentent. »
Il s’agit rien de moins que de « braver le monde ». Pour habiter les interstices du capitalisme. Bâtir des refuges. Agir comme on jardine en favorisant partout la vie. Marielle Macé veut « construire des cabanes ». Cela n’a rien d’anecdotique, c’est un programme politique « pour trouver où atterrir, sur quel sol rééprouvé, sur quelle terre repensée, prise en pitié et en piété ». Construire des cabanes, donc, non pas pour se retirer du monde, s’enclore, se faire une tanière dans des lieux supposés préservés « mais pour leur faire face autrement, à ce monde-ci et à ce présent-là avec leurs saccages, leurs rebuts mais aussi leur possibilité d’échappée ».
Une pluie d’oiseaux, de Marielle Macé, aux éditions Corti (Collection Biophilia), mai 2022, 384 p., 23 euros.
Nos cabanes, de Marielle Macé, aux éditions Verdier, mars 2019, 128 p., 6,50 euros.
Plus de 400 personnes ont été tuées par des chasseurs en vingt ans. Dans un manifeste, le collectif Un jour un chasseur leur rend hommage et demande des réformes urgentes.
Chaque automne, la même rengaine macabre. Pas une semaine ne s’écoule sans un accident de chasse. Depuis un an, quelque chose a changé : ces incidents ne passent plus inaperçus. « La parole se libère peu à peu, constate le naturaliste Pierre Rigaux. Les habitants paraissent de moins en moins enclins à supporter l’accaparement de l’espace par une minorité pratiquant un jeu mortel hors de toute raison. » Le militant écologiste écrit ce constat dans la préface d’un manifeste nouvellement paru, intitulé Chasser tue (aussi) les humains (Leduc, 2022), et rédigé par le collectif Un jour un chasseur.
Après deux ans de manifestations et de pétitions, ce groupe de jeunes habitantes rurales (il s’agit majoritairement de femmes), constitué à la suite de la mort de leur ami Morgan Keane [1], a décidé de prendre la plume « pour remuer le couteau dans la plaie ». « Parce que c’est trop facile de se taire, parce qu’on s’en voudrait de ne pas avoir tout tenté pour changer les choses. »
Briser l’omerta donc, et « libérer la parole des oubliés de la ruralité ». Car, rappellent les autrices, 21 millions de Français vivent à la campagne, dont une majorité écrasante de non-chasseurs. 46 % des chasseurs vivent dans une ville de plus de 20 000 habitants, dont 10 % à Paris. « La défense de la chasse n’est pas une question de classe sociale ou de tradition, insistent-elles. C’est l’histoire éternelle d’un vieux monde, représenté par une majorité d’hommes blancs et vieux, qui refusent de comprendre que notre société évolue. » Voilà donc pour les hérauts de la « ruralité ».
Le manifeste compile ensuite des témoignages d’habitants, choqués, traumatisés, blessés par des chasseurs. « Un jour, une balle a traversé toute notre maison. À quelques secondes près, je me la prenais en pleine tête. »« Un jour, mon père a été tué par un chasseur » lors d’une partie de chasse, parce qu’il était entré sans le savoir sur sa propriété ; « le tueur a fait un an de prison — il chassait avec le procureur — et exerce toujours comme médecin ». « La balle d’un chasseur s’est retrouvée dans la chambre de notre fille, pendant sa sieste. »
Un hommage aux 428 morts depuis 1999
Les autrices expliquent avoir voulu «rendre hommage aux victimes» — 3 403 accidents de chasse depuis 1999, 428 morts. Mais ne s’arrêtent pas là. Minutieusement, elles explorent «les failles du système cynégétique», comme la faiblesse des examens lors du permis de chasse, ou la connivence entre chasseurs et politiques. Puis elles dessinent des pistes «pour en finir avec les accidents de chasse».
Parmi les «réformes urgentes» à prendre :
arrêter la chasse les mercredis et dimanches — comme c’est le cas en Angleterre, Portugal, Pays-Bas, Italie —, car «étant donné la portée des armes et leur puissance, envisager de partager l’espace public avec des hommes armés n’est pas une option» ;
une formation plus stricte et un renforcement des règles de sécurité — âge minimal, difficultés des épreuves, renouvellement du permis chaque année avec certificat médical et test psychologique ;
un contrôle et un suivi des armes de chasse et des comportements à risque ;
des sanctions pénales à la hauteur des délits commis ;
la libération de la parole et la reconnaissance des victimes de la chasse par l’État.
Loin de l’ambition du collectif, le gouvernement n’a pour le moment esquissé que des mesurettes — telle la mise en place d’un délit d’alcoolémie, la création d’une demi-journée non chassée ou la conception d’une appli pour informer les riverains des lieux de chasse.
Espérons que ce petit livre engagé — mêlant enquête, analyse politique et guide pratique (exemple : comment signaler les incidents près de chez soi) — fera bouger les lignes. Car, si la prise de conscience progresse parmi la société, le chemin paraît encore semé d’embûches. «Il ne s’agit pas de mettre les chasseurs au ban de la société, souligne Pierre Rigaux dans sa préface. Il s’agit de faire progresser l’intérêt général.»
Chasser tue (aussi) les humains, du collectif Un jour un chasseur, préface de Pierre Rigaux, aux éditions Leduc, octobre 2022, 266 p., 18 euros.
Cette expression d’Emmanuele Coccia invite à passer de l’écologie punitive à une « érotique planétaire ». Mais elle nous renvoie à ce que Vandana Shiva appelle les « monocultures de l’esprit » donnant à comprendre cette « perversité ». (Gilles Fumey)
Donnons raison au philosophe E. Coccia sur la crise écologique que nous vivons qui doit « être lue comme une relation érotique et sentimentale en crise » [1]. Mais s’il faut « traiter toutes les espèces comme nous traitons nos chiens. Et inversement, de nous laisser traiter comme des chiens, des animaux de compagnie, par toute autre espèce de la Terre », alors il nous faut comprendre ce que nous avons fait à la planète. Ou plutôt ce que certains Etats, certaines entreprises (plutôt multinationales) ont fait depuis deux siècles au moins. Par un système productiviste, inventé aux Pays-Bas au XVIIe siècle, mis en œuvre par les Européens sur le modèle de la plantation tropicale. Un modèle qui exportait dès le XVIIIe siècle les monocultures dans les colonies convoitées alors pour leur biodiversité, leur main d’œuvre, la facilité à voler des terres aux autochtones avec la complicité de petits et grands mafieux locaux.
L’une des pratiques perverses a été de faire disparaître la diversité de notre perception. La biologiste indienne, militante écologiste et écoféministe d’influence mondiale, Vandana Shiva, stigmatise ces monocultures qui ont fait et font disparaître la diversité du monde : « La disparition de la diversité est aussi une disparition des alternatives laissant place au syndrome TINA (there is no alternative). Ce syndrome est si fréquent aujourd’hui que le déracinement total de la nature, de la technologie, des communautés et de la civilisation toute entière est justifié par l’idée qu’il n’y a pas d’alternative ».
Vandana Shiva montre comment dans la région himalayenne du Garhwal, les femmes paysannes perdent la main sur l’approvisionnement en eau, la conservation des sols, et toutes les communautés d’espèces apportant nourriture, fourrage, fertilisant, fibre et combustibles nécessaires à la vie locale. La Révolution verte – qui est, rappelons-le, une catastrophe environnementale et sanitaire – a été le bon filon pour introduire des monocultures et détruire la biodiversité, créer un contrôle centralisé de l’agriculture, éroder les prises de décision décentralisées paysannes. Une uniformisation et une centralisation qui ont conduit à la vulnérabilité et la dégradation sociale et écologique.
Que disent pourtant les paysans indiens ? Les forêts nous apportent un sol, de l’eau et de l’air pur. Que disent les scientifiques avec les techniciens ? Les forêts nous apportent de la résine et du bois. Ainsi, les mouvements Chipko et Appiko des communautés agriculturelles ont dû lutter en Indonésie pour garder la terre de leurs ancêtres, la protéger des destructions des collines, des contaminations des rivières et des ruisseaux, des profanations des tombes sacrées des ancêtres, des massacres des animaux et des arbres.
Vandana Shiva va plus loin. Pourquoi les plantes populaires sont devenues des « mauvaises herbes détruites avec des poisons » ? Le cas de la bathua, un légume feuillu très riche en vitamine A et mangé avec le blé, est édifiant. Cette plante a été considérée comme une « mauvaise herbe » à détruire à l’herbicide. N’est-ce pas scandaleux alors que quarante mille enfants en Inde deviennent aveugles chaque année par manque de vitamine A ?
Détruire la diversité pour augmenter la productivité
Protéger la biodiversité, c’est produire des alternatives, protéger les semences natives. C’est dénoncer le mythe selon lequel les monocultures seraient essentielles pour résoudre les problèmes de pénurie. Pénurie de bois de chauffe sans monoculture ? Faux ! Famines sans monoculture ? Faux !
Dans un programme des Nations unies sur « les systèmes de connaissance comme systèmes de pouvoir », Vandana Shiva montre que les monocultures sont imposées en pariant sur un déclin des rendements et de la productivité des cultures paysannes. Ce qui est faux sur le moyen et long terme. Les monocultures sont pratiquées par les politiques, les entreprises de biotechnologies et la finance internationale. Elles sont nocives car elles touchent un patrimoine libre et commun de l’humanité, lorsqu’elles traitent les ressources (l’eau, les sols, les semences…) comme une propriété privée et comme des marchandises.
Contre les monopoles
Il faut s’opposer à la notion d’obsolescence de la biodiversité vivante que véhicule le paradigme des monocultures. C’est cela qui conduit aux droits monopolistiques sur le contrôle de la biodiversité. Car pour Vandana Shiva, biologiste, rappelons-le, « la révolution génétique nous menace de catastrophes imprévues ». C’est pourquoi chaque graine de semence indigène alimente le système de résistance contre les monocultures et les droits de monopole. Les brevets qui justifient l’innovation interdisent les échanges scientifiques qui sont contrôlés.
Les brevets et les droits de propriété intellectuelle peuvent être vus comme une « déclaration de territoire » qui crée un monopole, garantit des profits en excluant les autres des droits et de l’accès aux moyens de survie. L’Inde paie, ainsi, des milliards de dollars à des firmes américaines alors qu’elle croule sous les dettes. Les Etats-Unis qui se disent victimes de pertes en redevance de produits chimiques sont, en réalité, redevable, selon le Fonds international d’avancée rurale, de 302 millions de dollars pour les redevances agricoles et plus de 5 milliards de dollars pour les produits pharmaceutiques.
Les riches commandent
En prenant la richesse biologique qui est inégalement répartie dans le monde, concentrée dans les pays tropicaux pauvres, on constate que les plans de conservation de cette biodiversité viennent des pays du Nord. Ainsi, les plantations d’eucalyptus encouragées par le Nord poussent à l’extinction les espèces locales nécessaires aux besoins locaux. Les « miracles » de la Révolution verte étaient vantés grâce à la « supériorité » des cultures « avancées » sur les cultures indigènes. On a communiqué sur une notion comme le « haut rendement » des variétés, mais la définition d’un « haut » rendement n’existe même pas. Le même raisonnement a été appliqué aux animaux. Alors que les deux-tiers des besoins énergétiques des villages indiens sont satisfaits par 80 millions d’animaux de trait (dont 70 millions sont des mâles, considérés par l’Occident comme des animaux « inutiles » car à faible rendement laitier). Le bétail excrète pourtant 700 millions de tonnes de fumier par an, récupérable comme combustible soit 68 millions de tonnes de bois, une ressource rare en Inde, l’autre moitié comme engrais, sans parler des sous-produits comme les cuirs. Un système hautement efficace qui a été démantelé au nom du « développement ».
Mahatma Gandhi s’est battu contre le colonialisme qui détruisait l’industrie textile locale. Combien de fois a-t-il expliqué que ce qui est bon à un endroit ne l’est pas ailleurs ? « La nourriture d’un humain est souvent le poison d’un autre » (V. Shiva). Gandhi défendait le rouet contre l’industrie imposée au nom d’un faux universalisme propre aux concepts de développement scientifique et technologique. Aujourd’hui, les semences des agricultrices sont rendues obsolètes par les technologies et l’industrie des semences. Que les biotechnologies puissent produire des semences qui ne se reproduisent pas (alors que, par définition, une semence est régénératrice) relève d’autant plus de la perversité que la nouvelle semence a besoin d’intrants chimiques pour produire… On délocalise ainsi la production de semences de la ferme vers le laboratoire, et donc du Sud vers le Nord.
Ainsi, nous détruisons des moyens d’existence et de subsistance en érodant les ressources biologiques des populations et leurs capacités à répondre à leurs besoins en se régénérant et se renouvelant. Là est la perversité.
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