Les gagnants du concours photo Wildlife Photographer of the Year 2023 sont connus

Limule d'Asie

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Le jury du prestigieux concours photo Wildlife Photographer of the Year a rendu son verdict, dévoilé dans la nuit du 10 au 11 octobre 2023 : le grand gagnant de cette nouvelle édition est le Français Laurent Ballesta, déjà lauréat en 2021.

Seulement le second photographe en 59 ans à réussir ce tour de force

49.957 soumissions provenant de 95 pays différents. Comme tous les ans, la compétition Wildlife Photographer of the Year, développée et produite par le Muséum d’histoire naturelle de Londres (Angleterre), a attiré les photographes du monde entier. Si le concours présente 19 catégories, c’est bien le prix principal que remporte le photographe sous-marin et biologiste Laurent Ballesta. « Laurent n’est que le deuxième photographe en 59 ans d’histoire du concours à recevoir le Grand Titre à deux reprises« , remarquent les organisateurs.

Cette année, il a présenté un cliché nommé « The Golden Horseshoe« . On y aperçoit une limule d’Asie du Sud-Est (Tachypleus tridentatus) ainsi qu’un trio de carangues dorées (Gnathanodon speciosus). Cette limule peuple notre planète depuis plus de 100 millions d’années mais est aujourd’hui menacée par la destruction de son habitat, la surpêche et par l’intérêt qu’éveille son sang bleu, utilisé dans le développement de vaccin. Heureusement, dans les eaux protégées de l’île de Pangatalan (Philippines) où la photo a été prise, les limules n’ont rien à craindre.

LES PHOTOS GAGNANTES

RÉACTION DE LAURENT BALLESTA

laurent ballesta

Des marmottes dans les Alpes… jusqu’à quand ?

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Les marmottes, ces petits rongeurs symboles des Alpes, sont encore bien nombreuses à gambader dans les montagnes. Mais le tourisme et le climat pourraient impacter leur survie, voire entraîner leur disparition.

Elles ne sont pas farouches, ces marmottes. On dirait même qu’elles s’amusent à prendre la pose, alanguies sur un gros rocher devant lequel s’agglutinent les touristes armés de leurs smartphones. « On appelle ce spot “l’office du tourisme”, car elles sont toujours ici, quelle que soit l’heure de la journée », sourit Monique Constant, la présidente de l’association des Marmottes d’Eygliers Mont-Dauphin, dans les Hautes-Alpes.

Depuis le parking, construit au bord de la route nationale N94 reliant Gap à Briançon dans les Alpes, il faut à peine dix minutes pour grimper dans cette prairie, au pied des remparts Vauban de la place forte de Mont-Dauphin. Cela fait une cinquantaine d’années que plusieurs familles se sont installées ici. Entre 35 et 40 individus bien dodus vivent dans ce site classé Natura 2000, perché à 900 mètres de hauteur.

En cette fin d’après-midi, alors que le soleil est encore brûlant, quelques marmottes furètent entre les touffes à la recherche de leur dîner. Elles doivent ingurgiter jusqu’à 400 grammes d’herbe par jour, soit environ 70 kilos de végétation consommés entre juillet et octobre. De quoi remplir leurs réserves de graisse avant l’hibernation. « Aujourd’hui, on dirait qu’elles n’ont pas trop faim. Ce matin, on a croisé une personne qui les a gavées de pissenlits, raconte Annette Lebreton, secrétaire de l’association également membre de la Ligue pour la protection des oiseaux de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). On ne peut pas trop râler, mais si elles n’ont pas de régime assez varié pour faire de la graisse pour l’hiver, ce n’est pas bon pour elles. »

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Annette Lebreton et Monique Constant de l’association Les Marmottes d’Eygliers Mont-Dauphin, devant l’entrée du sentier qui mène à la prairie des marmottes. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

Des marmottes victimes de leur succès

Avec le temps et le bouche-à-oreille, le site très facile d’accès est devenu un véritable hot spot touristique local, mentionné sur les brochures de la ville de Mont-Dauphin et recensé sur Tripadvisor. Il est même intégré au circuit de tour-opérateurs étrangers, dont les touristes débarquent en bus pour une balade éclair.

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Des panneaux incitent les touristes à ne pas nourrir les marmottes. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

Face à l’affluence — environ 20 000 personnes par an —, les membres de l’association tentent de sensibiliser les visiteurs au respect de ces paisibles animaux, avec des actions ludiques et des petits déjeuners découverte. Mais ils doivent surtout passer du temps sur place pour surveiller. Pauline Majorel, la stagiaire de l’association, se souvient de touristes qui avaient amadoué un marmotton et l’avaient attaché avec un harnais pour chats. « Je leur ai demandé de laisser le bébé tranquille et j’ai menacé d’appeler la police. Ils sont finalement partis », explique la jeune fille.

Si les marmottes du site restent des animaux sauvages, elles n’ont plus du tout peur des humains. « Il y a une possible perte d’instinct, elles ne sifflent plus lorsqu’elles voient des chiens arriver alors que ce sont des prédateurs. C’est un problème avec les patous, qui sont de véritables chasseurs de marmottes », remarque Annette Lebreton.

Le manque de neige tue

Ces chiens de bergers sont pourtant loin d’être la plus grave menace sur l’avenir des marmottes par rapport au réchauffement climatique. À 60 kilomètres de Mont-Dauphin, au col du Lautaret bien connu des fans du tour de France, la chercheuse Aurélie Cohas mène depuis 2018 une étude sur les conséquences du réchauffement climatique sur ces petits rongeurs.

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Le déclin des marmottes inexorable. Pixabay/CC/Pacote66

Ses résultats sont sans appel : si les températures continuent à monter aussi vite, la mascotte des Alpes pourrait disparaître. En effet, en hiver, la neige fait office d’édredon, recouvrant leur terrier pour maintenir une bonne température. Si la couche est trop fine, les marmottes peuvent mourir de froid. « Dès que la température descend en dessous de 4 °C, elles vont consommer trop d’énergie et mourir de dénutrition dans leur terrier. Elles ne vont pas ressortir au printemps d’après », déplore Aurélie Cohas.

Comme il fait trop froid dans les terriers, les marmottons survivent moins. Les individus adolescents, qui jouent d’ordinaire le rôle de baby-sitter, n’ont donc plus de raison de rester dans le nid et quittent leur famille. D’autant qu’avec les chaleurs précoces du printemps, la végétation nécessaire à leur croissance pousse plus tôt et rapidement. Ils grandissent plus vite et partent à la conquête de nouveaux territoires. Certains vont aller défier d’autres marmottes dominantes pour prendre leur place en les tuant, ainsi que leur progéniture. Tous ces phénomènes déstructurent les familles, d’ordinaire particulièrement stables. « Cette instabilité sociale bouleverse l’équilibre de l’espèce, impacte les taux de survie et de reproduction », poursuit Aurélie Colas.

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L’association existe depuis une douzaine d’années. Elle tente de préserver cette colonie de marmottes. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

La marmotte n’est pas encore considérée comme une espèce en danger. Mais Aurélie Colas estime que son déclin est inexorable si rien n’est fait pour protéger la biodiversité. Reste à savoir combien d’années nous pourrons encore admirer gambader ces mignons rongeurs dans nos montagnes.

Trop de photographes nature troublent les animaux sauvages

test de matériel à Montier

Grâce à du matériel photo plus accessible et une diffusion par les réseaux sociaux, la photographie naturaliste s’est démocratisée. Mais entre renouveau de l’intérêt pour la nature et pression accrue sur les espèces sauvages, cet élargissement questionne les professionnels de la discipline.

Montier-en-Der (Haute-Marne), reportage

C’était le rendez-vous incontournable pour les amoureux de la photographie de nature. Pour la 24ᵉ année consécutive, le festival international de Montier-en-Der (Haute-Marne) a accueilli pendant quatre jours 44 000 visiteurs et plus d’une centaine d’expositions. La petite ville s’est transformée en capitale de l’univers étendu de la nature où, à travers la grisaille et la bruine, on déambulait dans les rues garnies d’expositions en plein air, où l’on s’arrêtait devant le regard d’un lynx ou une portée de renardeaux, où l’on admirait les mystères des profondeurs sous-marines.

Depuis plusieurs années, la photographie naturaliste a le vent en poupe. Les réseaux sociaux ont permis de diffuser les images de la biodiversité aux quatre coins du monde, de pair avec l’accessibilité du matériel photo. Au village des marques, Ludovic Drean, responsable du service pro de chez Nikon déclare que « la sortie d’une longue focale ultra légère et abordable financièrement a fait exploser les ventes, et avec les progrès techniques, l’accès à la photo réussie est de plus en plus simple ». Au sein de ce gymnase de 1 000 m² transformé en temple du matériel photo, on teste les dernières innovations.

photographe nature_2

Autrefois réservée aux naturalistes, cette activité s’est largement démocratisée, ce qui peut être problématique pour la biodiversité : « Il y a vingt ans, j’étais seul à photographier le hibou des marais. Maintenant, il y a dix voitures autour du spot. Dès qu’un individu est repéré, ça va sur les réseaux sociaux », dit à Reporterre Louis-Marie Préau, photographe naturaliste et président de jury du concours de cette année. « Le danger, c’est qu’une personne qui n’est pas naturaliste ne va pas percevoir le signal d’un animal qui alarme, signe de dérangement. »

Pour Véronique Thiéry, fondatrice de l’association d’éducation à l’environnement et de protection de la nature Mille traces , les photographes n’ont pas de mauvaises intentions. Le problème vient du fait que la plupart des personnes n’ont pas conscience qu’elles dérangent, même si en apparence l’animal est tranquille. « Il nous arrive régulièrement de voir des photographes collés à l’entrée du terrier de marmottes, explique-t-elle. Même si l’animal a l’air de s’habituer à la présence du photographe, il s’alimente moins et va faire moins de graisse. Par conséquent, il va se réveiller d’hibernation un mois plus tôt à une période où il y a encore de la neige, et va mourir de faim… »

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D’autres outils comme la repasse [1] ou les appâts ont des conséquences sur la faune sauvage. Régulièrement utilisés et multipliés par le nombre important de photographes, ils peuvent être une source de dérangement non négligeable. Derrière la photo, il y a l’appât du gain, l’envie de faire sa propre image, une sorte de trophée. « Nous n’annonçons plus les relâchers de lynx à cause du braconnage et des photographes qui venaient à proximité avoir leur cliché. Le vrai photographe, c’est les affûts et la traque qui le séduisent », estime un bénévole du centre de faune sauvage Athénas.

Victime de son succès, la démocratisation de la photographie nature aurait, pour certains, fait perdre cette connexion au vivant avant tout. Devant une photo de lynx ibérique, le photographe Teddy Bracard défend une vision naturaliste de l’image : « Je suis arrivé à la photo par la nature. Je cherche à identifier les traces des animaux, à comprendre comment ils vivent. La photo est un plus. Sur les réseaux il y a beaucoup de gens qui ne sont là que pour la photo. Par exemple, durant le brame, il y a de nombreux photographes qui entendent les cerfs et cherchent à faire des photos à l’approche, ce qui dérange… Pour ma part, je prépare mes postes d’affût au mois d’août et je m’y place deux heures avant le lever du soleil au mois d’octobre, pendant le brame. »

« Beaucoup de gens pensent davantage à la gloire qu’à l’approche naturaliste »

Le naturaliste serait-il un modèle de bonne conduite grâce à sa connaissance du terrain ? Pas vraiment, selon Teddy Bracard : « Certains naturalistes sont aussi comme ça. J’avoue que je suis un peu dégoûté du milieu de la photo nature, car je vois beaucoup de gens qui pensent davantage à la gloire qu’à l’approche naturaliste. » Par ailleurs, l’expérience n’évite pas des mauvaises surprises. En témoigne un photographe naturaliste chevronné : « Je ne ferai plus jamais d’affût proche de terrier de renard, car, malgré mes précautions, la mère a déménagé les petits juste après ma venue… »

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Cette recherche de reconnaissance passe également par l’envie de remporter des concours photos, grâce à des images toujours plus techniques et spectaculaires. À cette fin, l’éthique est parfois reléguée au second rang. Pour Louis-Marie Préau, président du jury de l’édition 2021 du concours de Montier-en-Der, « il y a un règlement assez strict. Avec l’expérience, on arrive à reconnaître les images suspectes mais parfois cela ne se voit pas forcément, il y a toujours des pièges. » Ce n’est encore jamais arrivé pour le concours de Montier-en-Der, mais certains gros concours ont déjà retiré des prix a posteriori, après qu’une supercherie, telle la photo d’un animal empaillé, ait été démasquée. Cette année, à Montier-en-Der, un glouton poursuivi par un corbeau dans la neige scandinave a remporté le grand prix.

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Certains photographes de renom, sont de véritables modèles malgré eux. C’est le cas de Laurent Ballesta qui présente son exposition Planète Méditerranée à la Halle aux grains. « Il me semble voir une course à la performance, via l’appât du succès. Ça passe par l’innovation technique, les records… » Le photographe marin, réputé pour ses plongées engagées, s’interroge sur sa « responsabilité à pousser certains à faire toujours plus » et déplore qu’il y ait « une perte de noblesse dans l’absence d’approche solitaire, d’une attente potentiellement infructueuse ».

L’effet d’entraînement des précurseurs

Sur la terre ferme, le nom de Vincent Munier revient souvent. Précurseur par son approche naturaliste artistique et ses images évocatrices, le photographe se plaît dans les nuances de blanc minimaliste. À l’affiche avec son film La panthère des neiges réalisé par Marie Amiguet, qui a fait salle comble au festival, ses voyages suscitent un certain engouement. Dans le pôle voyagiste du grand chapiteau, Vincent Frances, fondateur de l’agence Photographe du monde, déclare avoir constaté une forte demande de voyages au Tibet. « Les gens nous disaient ’Vincent Munier l’a fait, on veut y aller. » Si certaines agences ont saisi l’opportunité, Vincent Frances a refusé d’organiser des voyages dans cette région. « Il faut laisser certains territoires et espèces tranquilles », le but étant « d’éviter l’effet safari avec trente 4×4 autour d’un lion ».

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De leur côté, les accompagnateurs des séjours photos font preuve de pédagogie pour sensibiliser les photographes. « Au départ, on ressentait la pression des photographes pour voir certaines espèces. Désormais, on leur explique que la nature n’est pas un zoo, il faut accepter l’idée que l’on ne puisse rien voir », dit Patrice Aguilar, photographe et accompagnateur à l’agence Amarok.

Concernant les séjours photos, Vincent Frances se montre confiant : « Les jeunes voyagent différemment, les séjours vont évoluer en coconstruction avec le voyageur de demain qui est plus respectueux de l’environnement. » Cette passion a le mérite de montrer et partager le beau, une vocation première chez les photographes interrogés. « C’est tout de même mieux que de porter un fusil », conclut Louis-Marie Préau.

teddy bracard

RAPPEL en ces temps du festival de MONTIER: Lac du Der: message important

lac du Der: message

Bonjour à toutes et à tous

Bonjour à toutes et à tous. Je ne vais pas publier de photographie mais ce message est adressé à
toutes celles et tous ceux qui aiment les oiseaux et les prendre en photo et qui viennent au Lac du Der pour photographier les grues cendrées.
Je suis bénévole pour la LPO ChampagneArdenne et je fais partie des 1214 compteurs de grues cendrées de mioctobre à mimars, présent tous les dimanches matin à l’aube pour donner l’évolution du nombre des demoiselles du lac présentes sur le dortoir.
Depuis le début de la « saison » migratoire, nous constatons de plus en plus d’attitudes irrespectueuses des consignes d’observation :
voitures arrêtées au bord de la route = danger pour les autres automobilistes + effarouchement des grues cendrées en train de manger
personnes descendant en bas des digues pour faire une « meilleure » photographie ou parce qu’ils sont gênés par l’affluence des touristes venus très tôt pour les voir s’envoler
personnes utilisant des petits APN et ne désactivant par leur flash
personnes se rendant carrément sur les zones d’herbe au milieu du lac (avec landau, chien, etc.)
La situation devient critique et il n’est pas concevable de continuer à accueillir du public
(photographes ou non) sans qu’un minimum de règles soit respecté.
Je vous demande, à vous photographes venus pour les voir et prendre de beaux clichés, de montrer le BON EXEMPLE en ne descendant pas dans les cailloux en bas des berges des digues, en faisant éventuellement aussi preuve de civisme et de courtoisie (ce n’est pas parce que vous avez besoin de 2m autour de vous pour faire une rotation complète sur votre trépied que vous ne pouvez pas céder 1m à côté de vous pour des enfants qui veulent regarder…), de demander aux gens qui descendraient sur la vase de remonter, de demander aux « flashouilleurs » de couper leur flash…
Le Lac du Der est TRES GRAND et nous ne pouvons pas être partout pour faire respecter ces petites règles, ce n’est d’ailleurs pas notre rôle (mais nous allons être de plus en plus vigilants).
Merci de faire passer le message à vos ami(e)s qui viennent les voir, au public autour de vous qui n’est pas forcément sensible à l’impact de leur présence.
Je vous remercie pour elles !
© Photo Christine Tomasson

la photographie sur les réseaux sociaux est – elle une pratique et un espace relationnels ?

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L’image et la photographie occupe une place de choix sur internet, et particulièrement sur les réseaux sociaux, on peut même dire que l’image y est prépondérante, voire envahissante. Face à ce déferlement d’images, il importe plus que jamais de réfléchir sur le statut de l’image dans notre société et, pour ce qui nous intéresse, sur les réseaux sociaux, plus particulièrement sur ce que l’on peut en voir sur Facebook, murs, pages ou groupes Facebook.

 

Utilisatrice de Facebook moi- même depuis de nombreuses années et postant de nombreuses photos sur ce réseau social, je me suis interrogée depuis un certain temps sur les liens qui pouvaient s’établir, via les échanges de photos sur Facebook, entre des internautes partageant la même passion pour l’image photographique. Je m’intéresse ici aux personnes et groupes pratiquant la photo comme un art et comme une passion, en réfléchissant au sens et à la composition de leur image, et qui ont une exigence de qualité quant à leur production. Mon étude ne portera donc pas sur ceux qui, rivés à la smartphone, ont une pratique addictive de

l’image et pour qui, une fois l’image prise et postée, est aussitôt oubliée. Non, je me penche ici sur les personnes qui réfléchissent à leur cadrage et qui situent leur pratique photographique dans la durée, qu’ils soient amateurs ou professionnels peu importe,l’essentiel est le souci de la constitution d’un regard et d’une œuvre cohérente. La photographie dont il sera question ici est la photographie de nature et principalement de paysage.

Pratiquant la photo et le partage de photos sur les réseaux sociaux depuis quelques années, je me suis interrogée sur la façon dont le partage de photos permettait de mettre en relations plus ou moins poussées et intimes des internautes pratiquant la photographie. Grâce au net, j’ai fait la connaissance de nombreux photographes et avec certains les relations ont dépassé le simple échange d’image. J’ai été assez étonnée en particulier du courant d’amitié qui s’est porté et développé envers un photographe de paysage des Vosges, dont beaucoup d’internautes, dont je suis, avaient pu admirer le talent certain. Après l’annonce par ce photographe de sa

maladie grave, des tas d’internautes photographes n’ont cessé via Facebook de lui témoigner un soutien et une affection sans faille, à une intensité que j’ai rarement vue sur le net.

Tout cela fait que je suis amenée à me poser la question, comment et dans quelle mesure la photographie sur les réseaux sociaux peut –être une pratique et un espace relationnels, bénéficiant à la fois des caractéristiques relationnelles de la photographie et du net.

Mon hypothèse est que si Internet peut être, comme le soutient Serge Tisseron, un médium malléable, la photographie de nature, et particulièrement de paysage peut être conçue comme un objet et un espace transitionnel, retrouvant le trouvé-crée du bébé. La photographie sur les réseaux sociaux se caractérise aussi par un goût du partage et de la solidarité, ainsi qu’une quête de reconnaissance, au sens du philosophe allemand Axel Honneth. C’est à partir de ces caractères de la photographie sur Internet que peuvent s’établir entre photographes des relations profondes et véritables, des « relations d’objet virtuel » comme le dit Serge Tisseron, qui oscillent entre le pôle virtuel et l’actualisation de ce virtuel et non des « relations d’objet virtuelles », qui restent seulement sur le pôle virtuel de la relation, sans avoir d’actualisation ni de lien avec la réalité.

Pour Serge Tisseron, Internet possède en effet les caractéristiques du médium malléable :

-C’est « un espace dénué de forme propre. »

C’est « une consistance qui invite à s’en emparer. »

-C’est « une interface indestructible. »

-C’est un « espace qui s’adapte au rythme de chacun. «

-C’est un « espace perpétuellement réactif. «

 –C’est « un espace doué de sensibilité propre. «

-C’est « un espace prévisible et rassurant. «

 -C’est « un espace disponible à toutes les propositions. »

 –C’est « un espace qui nous sollicite autant que nous le sollicitons. «

( Serge Tisseron, Rêver, fantasmer, virtualiser, du virtuel psychique au virtuel numérique, Paris, Dunod, 2012, p.135-139).

La photographie sur Internet et les réseaux sociaux participe de ces traits communs de médium malléable, mais il y ajoute les caractéristiques propres à l’image et à la photo.

Premièrement, la photo convoque toujours l’absence et le regard de la mère, en même temps que la photo regarde celui qui l’observe, dans une co-construction du sens, comme dans le trouvé crée du bébé.

Deuxièmement, il y a un plaisir du partage et une quête de la reconnaissance et un plaisir de la réciprocité dans le partage de photos sur les communautés virtuelles de photographes.

La photo est d’abord l’histoire d’un regard, d’un regard mutuel, un regard et une relation qui n’a rien de mortifère, au contraire de ce que pensait Roland Barthes, mais est bien au contraire du côté de la vie et plonge dans les sources de la vie et de l’émerveillement du monde.

Anne, après la mort de son père, classe des photos de famille depuis plusieurs heures. Elle ne connaît pas forcément toutes les personnes représentées sur les photos et certaines lui sont même totalement inconnues. Un soudain, c’est le choc, la révélation inattendue, le flash !

Devant une photo de son grand -père, disparu quand elle avait 5 ou 6 ans et dont elle n’avait que peu de souvenirs, simplement celui d’une grande affection de part et d’autre, elle entend tout à coup, sa voix, aussi claire et distincte que si son grand- père avait été présent à côté d’elle en chair et en os à ce moment. Une vague d’émotion la submerge, c’est comme si l’amour que lui portait son grand- père lui était immédiatement rendu, elle qui est à présent dans le deuil de son propre père. Ce souvenir, ce moment de magie intime, elle gardera précieusement en mémoire, comme une illumination dans les ténèbres du chagrin.

La photographie, c’est en premier lieu, le rappel et la mémoire du regard et de la présence de la mère, de la présence qui a élevé l’enfant et qui fut pour lui d’abord le monde, le symbole et le mode de ses premières relations au monde. La photo nous ramène donc à un temps d’avant les mots et le langage, à un temps où le monde s’appréhendait avant tout par le sensible, le toucher, la vue, le goût, l’odorat, à un temps où l’enfant s’imaginait créer le monde en le voyant, en même temps qu’il était créé et existait par ce même monde. Se voir comme présent dans le regard de la mère, se représenter la mère comme endeuillée de la présence de l’enfant, et donc portant en lui son souvenir et son image, lorsque cet enfant n’est plus présent devant elle, voilà un des rôles principaux de la photo, pour ne pas dire le principal. Se sentir présent au monde et le monde présent en soi, comme au temps où le soi et le monde n’étaient pas encore bien différenciés, dans une sorte de présence mutuelle, de communion quasi magique, voilà une des fonctions majeures de la photo.

La photographie peut donc être considérée comme un espace et une pratique transitionnelle, et comme un médium malléable.

La photographie peut également être conçue comme un objet trouvé- crée, comme le bébé s’imagine, dans ces premiers temps de vie, selon Winnicott, crée le monde en même temps qu’il le crée. François Jullien (Vivre de paysage ou l’impensé de la Raison (Nrf/Gallimard, Paris, 2014) et Augustin Berque (Histoire de l’habitat idéal, de l’Orient vers l’Occident, (Editions du Félin, Paris, 2010), ont bien montré que le regard et la notion de paysage n’était pas donnés mais construit, et que regarder un paysage, voir un paysage était synonyme d’un changement dans la sensibilité et les mentalités d’une époque et d’une civilisation.

Pour Augustin Berque, la notion de paysage est née en Chine, par ce que les élites chinoises ont été capables de « voir » un paysage là où le « commun « n’en voyait pas, car elles étaient dégagées des soucis « mondains » du quotidien et capables de ce recul contemplatif.

Contempler un paysage pour le premier poète paysager chinois, Xie Lingyun , ( V ème s. après J.C) est vraiment un sentiment pour happy few.

Pour François Jullien, suivant en cela la théorie chinoise du paysage, pour faire paysage, il faut une participation autant de ce qui est regardé, le paysage, que de celui qui regarde.

Observateur et paysage se co-enfantent, se co-construisent, comme le dit Shi- Tao, peintre et théoricien chinois du XVIIIème siècle :

 Il y a cinquante ans, il n’y avait pas encore eu co-naissance de mon Moi avec les Monts et Fleuves, non pas qu’ils eussent été valeurs négligeables, mais je les laissais seulement exister par eux- mêmes. Mais maintenant les Monts et Fleuves me chargent de parler pour eux ; ils sont nés en moi, et moi en eux. J’ai cherché sans trêve des cimes extraordinaires, j’en ai fait des croquis, monts et fleuves se sont rencontrés avec mon esprit, et leur empreinte s’y est métamorphosée, en sorte que, finalement ils se ramènent à moi, Dadi. »(Shitao, Les propos sur la peinture du moine Citrouille –Amère, traduit et annoté par Pierre Ryckmans, Plon, 2007, p. 76.).

Ainsi, le paysage et donc la photographie de paysage peut être conçue comme un objet- trouvé-crée, comme une mémoire des premières expériences de vie, comme un souvenir des origines du monde. La photographie de nature peut parfois être vue alors comme une expérience océanique, au sens de Romain Rolland, une expérience qui nous met au contact des sources de la vie, au contact et en communion avec le reste du monde, dans une sorte de plénitude.

Sur les communautés de photographe de nature en effet, il est souvent précisé que les photos acceptées ne doivent montrer que de la nature sauvage (comme dans le groupe Facebook,)

Passion photo et nature, où toutes les images de zoo ou d’animaux domestiques sont interdites), ou bien ou l’empreinte humaine est réduite à son maximum (comme dans le groupe Facebook Photographies de paysages). La Charte de ces groupes précise souvent que les photos doivent être faites dans le respect de la nature, avec le minimum de dérangement pour l’environnement, un souci éthique et un goût pour ce qui reste une nature vierge et intouchée, dans un souvenir mythique des origines de la vie. Le paysage est là ce qui fait trace, mémoire de temps révolus et inconnus, mémoire d’une expérience commune, d’un héritage commun qu’il s’agit de préserver, même si on se sait plus exactement en quoi il consiste. Le paysage est à réinventer, à recréer à chaque photo et on ne sait plus alors vraiment qui est à l’origine de la photo, entre ce qui est photographié et celui qui regarde et prend la photo. La photographie de nature est un perpétuel recommencement, un mouvement de va-et-vient, entre ce qui est trouvé et ce qui est créé. La photographie de nature est un vrai retour aux origines, de la vie et du regard.

Mais cette expérience de plénitude ne prend vraiment sens que si elle peut être connue et partagée.

En effet, c’est là une autre des caractéristiques de la photo sur Internet, c’est le goût du partage et la quête de reconnaissance.

Ce qui s’est joué pendant la prise de vue, les affects que l’on a vécu alors et la façon dont on les retranscrits dans la photo, celui qui a vécu cette expérience peut avoir envie, voire besoin de les partager et les réseaux sociaux sont justement là pour ça. Dans les communautés virtuelles de photographes de nature, les échanges et partages sont nombreux, certains postent juste une photo, d’autres mettent les circonstances de la prise de vue, d’autres des spécificités techniques, mais ce que l’on attend, ce sont des échanges avec d’autres photographes à propos de l’image en question, qui sont vus aussi comme des formes de reconnaissances de son travail.

Les échanges attendus sont évidemment attendus comme constructifs, mais j’ai très rarement vu de la méchanceté pure ou des attaques ad hominem à propos d’une photo, et les fautifs sont alors rapidement rappelés à l’ordre par les autres internautes. Ce qui semble un moteur dans ces communautés virtuelles, c’est la réciprocité des échanges, un peu comme si, dans l’esprit de Marcel Mauss, le don d’une photo appelait un contre -don, sous forme d’une autre photo ou d’un commentaire. C’est ainsi que partager les photos d’une autre personne, sous réserve que cette personne soit créditée, participe de cette économie d’échanges et de dons, contre- dons.

Cela participe aussi d’une quête de reconnaissance, reconnaissance sociale par les pairs photographes, reconnaissance d’une valeur artistique par d’autres praticiens de l’image, dans le sens que le philosophe allemand Axel Honneth attribuait à cette notion de reconnaissance, comme besoin fondamental de notre société (La Lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000). Cette notion de reconnaissance s’enrichit aussi, dans l’esprit de Honneth, d’une notion de solidarité, comme je l’ai montré au début de ce texte avec ce photographe atteint de maladie. La photographie de nature est souvent une pratique solitaire et c’est souvent aussi ce qui attire là-dedans des personnes qui apprécient ce moment de lien intime et solitaire avec l’élément naturel, mais c’est aussi une pratique qui a besoin de partage, partage des éprouvés et besoin de participer à une communauté d’appartenance. Et Internet permet une diffusion des clichés comme jamais auparavant et la participation à des communautés aussi étendues que possible.

Ainsi, la photographie sur les réseaux sociaux peut bien être conçue comme une pratique et espace relationnel véritables, un espace transitionnel qui permet de retrouver le souvenir d’expériences premières de découverte du monde, de façon non traumatisante et sécurisante, comme un écho d’expériences océaniques. Dans le même mouvement, cet espace

transitionnel qu’est la photo sur le net permet d’actualiser ces expériences premières dans des éprouvés actuels, que l’on peut partager avec d’autres, avec lesquels des sentiments d’appartenance, voire d’amitié, et une solidarité réelle peut exister. Il s’agit donc bien de

« relation d’objet virtuel », avec une balance réelle entre pôle virtuel et actuel de la relation.

Braconnage de lynx et chasseurs d’images : double coup de gueule d’Athenas

 

Une femelle lynx blessée suite à une collision et ses petits, capturés plus tard en forêt, ont été transportés au centre Athenas de l’Etoile pour y recevoir des soins.

Publié le 1 Oct 18 à 17:40

Via son site internet, l’association Athenas, centre de soin aux animaux sauvages raconte le sauvetage d’une femelle lynx percutée par une automobile à Châtillon, puis la récupération de ses trois petits.

Cette collision est cependant intervenue 15 jours après le décès d’un jeune mâle à Morbier, 12 jours après celui d’une femelle adulte près de Sombernon et quelques heures seulement avant de nouvelles collisions ayant provoqué la mort de d’un lynx à Vescles, samedi 29 et probablement d’un autre lynx vendredi 28 sur l’A39.

Lorsqu’elle a été récupérée, grâce à un automobiliste qui s’est arrêté en voyant l’animal blessé, la femelle présentait des signes d’allaitement, ce qui pouvait laisser supposer qu’un ou plusieurs jeunes se trouvaient en difficulté, séparés de leur mère à l’âge de 4 mois. Mais grâce à des pièges photographiques posés en lien avec les services de l’ONCFS, trois jeunes « déjà affamés et amaigris » ont pu être capturés et ramenés au refuge de L’Etoile. « Ils pourront donc d’ici quelque temps être remis en contact avec leur mère qui se remet d’une grosse intervention chirurgicale », indique Athenas. Et à terme, cette famille lynx devrait pouvoir être remise en liberté dans leur milieu naturel.

Braconnage et photographes peu scrupuleux

Au passage, l’association pousse aussi un coup de gueule contre « le braconnage » de cette espèce protégée, indiquant avoir vu à la radiographie de la femelle blessée la présence de cinq plombs dans sa tête.

« Le lynx est toujours considéré par l’UICN comme une espèce menacée, et à juste titre ! La France doit assumer ses engagements communautaires et empêcher la régression de cette espèce, comme elle est censée l’avoir accepté en ratifiant la convention de Berne »

L’association dénonce aussi « le comportement scandaleusement opportuniste de photographes animaliers qui, au risque de faire fuir les jeunes, de compromettre les recherches et de provoquer leur mort, viennent tenter de faire des images faciles avec à peu près autant d’éthique qu’une mouche à viande ou un pilleur d’épave, sans aucune considération pour le risque encouru par les jeunes lynx, et sans prendre la peine de solliciter un avis auprès des personnes en charge du sauvetage et en cours d’intervention. »

Laurent Villette Voix du Jura