Protéger les arbres, végétaliser les toits, développer les friches, restaurer les rivières… Pour ramener la nature en ville, chercheurs et élus ont développé des solutions. Exemples à Lille, Rungis, Saint-Rémy-lès-Chevreuse…
Forêts urbaines, toits végétalisés, restauration de rivière ou introduction d’une « trame noire » favorisant le retour des animaux nocturnes : les villes multiplient les initiatives pour ramener la biodiversité en ville. Car, face au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, développer les espaces naturels en ville devient indispensable. Les arbres créent des îlots de fraîcheur et améliorent la qualité de l’air. La biodiversité fait aussi du bien au moral : la densité des espaces verts en ville est corrélée au niveau de santé mentale. Les citadins s’y rafraîchissent, s’y promènent, respirent mieux. Scientifiques et élus proposent des solutions efficaces : focus sur cinq d’entre elles.
1 — Repenser la place de l’arbre en ville
Premier objectif : préserver l’existant. En ville, l’urbanisation et le réchauffement climatique menacent les arbres. « Les plus anciens sont particulièrement intéressants », souligne Marc Barra, écologue à l’Agence régionale à la biodiversité Île-de-France (ARB IDF). Leurs cavités en bois mort accueillent nombre d’insectes et ils sont plus robustes, et plus résilients face au changement climatique. Dans une étude parue en septembre dans Nature Climate Change, le chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Jonathan Lenoir et ses collègues ont estimé qu’entre 56 et 65 % des arbres urbains sont menacés par le réchauffement climatique. En France, ce chiffre pourrait grimper à 71 % à l’horizon 2050. Pour aider les nouvelles plantations et les anciennes générations à mieux résister, il convient de choisir des espèces locales adaptées au contexte climatique, de multiplier les essences d’arbres et d’arbustes et de laisser leur système racinaire se développer au maximum. « Aujourd’hui, ils n’ont généralement que 9 m3 à disposition, déplore Marc Barra. Un chêne a besoin de 25 m3 pour être en bonne santé. »
« Il faut surtout penser l’urbanisme autrement, estime Marc Barra. Laisser la place à la nature — aux arbres et leurs systèmes racinaires — et construire autour, plutôt que de tenter de glisser de la végétation dans les interstices. » Selon le spécialiste, pour que la biodiversité s’épanouisse à l’échelle des quartiers, une étude précise qu’il faudrait consacrer 45 % de l’espace à la nature. Pour cela, « le plan local d’urbanisme (PLU) peut être un outil très ambitieux, les élus peuvent inciter à moins cloisonner, déterminer les zones constructibles ou non, déterminer le retrait des bâtiments, inciter à la pleine terre et à utiliser les toits…,souligne Marc Barra. Les acteurs publics doivent s’en saisir. »

Le cimetière La Forêt de la ville de Blois. Réputée pour son important patrimoine végétal, elle a arrêté les pesticides dès 2008.
Dernière étape, il s’agit de connecter les différents espaces pour créer un réseau écologique : des rues agrémentées d’arbres alignés et de bâtiments aux toitures plus ou moins végétalisées, des espaces verts et des jardins privés arborés. Ces jardins sont souvent omis de la réflexion sur l’aménagement du territoire, note le chercheur. Ils sont pourtant partie intégrante de la biodiversité urbaine. Ils regorgent d’insectes, de papillons ou d’oiseaux. Cette faune locale vient s’y loger, s’y alimenter, s’y reproduire. D’autant plus que depuis 2019, l’usage des pesticides y est proscrit. Pour favoriser le développement de cette faune et flore, des associations créent des corridors écologiques de jardin en jardin pour les petits animaux, en laissant de petits passages dans les murs. « Passer moins la tondeuse, et ne pas hésiter à moins gérer son jardin est aussi intéressant », ajoute Marc Barra. On pourra aussi « aménager des passages sous les routes pour permettre aux animaux de traverser sans se faire écraser ou restaurer la continuité des rivières pour permettre aux poissons de les remonter », propose le chargé de mission pour l’Office français de la biodiversité Fabien Paquier. Autre idée : désimperméabiliser les pieds des arbres pour permettre aux herbes folles de pousser et ainsi d’assurer une connexion pour les pollinisateurs…
2 — Investir les toits
Face au manque d’espace, certaines collectivités envahissent les toits. À Paris, ils représentent une surface de 80 hectares, dont près de la moitié constituent des toits de plus de 200 m2. « Les toitures végétalisées ne remplaceront jamais les espaces au sol, mais elles constituent un bonus de nature en ville », explique Hemminki Johan, chargé d’études à l’ARB IDF. Les espèces qui s’y déploient varient en fonction de la conception : potager, espace de détente ou évolution libre. En outre, les toitures absorbent les eaux pluviales, servent d’isolant thermique, et réduisent les effets d’îlots de chaleur. Les espèces présentes dépendent aussi de l’épaisseur du substrat. L’Agence de l’eau estime qu’il faut au minimum 8 centimètres d’épaisseur pour avoir une bonne rétention d’eau. « Pour une meilleure biodiversité, il faut compter 30 centimètres », ajoute le chercheur.

« Les toitures végétalisées ne remplaceront jamais les espaces au sol, mais elles constituent un bonus de nature en ville. » Wikimedia / CC BY-SA 3.0 / Bertrand Paris Romaskevich
Mais la quête d’espaces urbains pousse à la compétition : depuis la loi Climat et résilience, le Code de l’urbanisme stipule que tout nouveau bâtiment commercial ou entrepôt de plus de 500 m2 doit consacrer 30 % de sa toiture à l’installation des systèmes de production d’énergie renouvelable ou des toitures végétalisées. Idem pour les immeubles de bureaux dont la surface excède 1 000 m2. Les deux activités peuvent toutefois être complémentaires, voire synergiques. À Rungis (Val-de-Marne) par exemple, les panneaux solaires côtoient un couvert de plantes basses. Selon deux études menées en 2021, l’association d’un toit végétalisé et d’une installation photovoltaïque favorise la biodiversité et permet d’accroître la production d’électricité de 6 à 8 % l’été. En effet, les plantes rafraichissent les installations électriques et les panneaux créent de l’ombre propice au développement de certaines plantes.
3 — Des friches en libre évolution plutôt que des miniforêts
Des miniforêts, développées selon la méthode Miyawaki, fleurissent un peu partout sur le territoire. Selon Marc Barra, leur intérêt pour la biodiversité est limité car elles introduisent souvent des espèces non locales dans un espace restreint. Sans parler de leurs coûts exorbitants ! « Sur une friche, on peut observer un développement arborescent spontané, avec une richesse bien plus intéressante », estime le spécialiste. La végétation y retrouve sa propre dynamique.

Audrey Muratet, écologue et botaniste, étudiait, ici en 2017, une friche à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Certains végétaux qui y poussent ont développé d’étonnantes stratégies de survie en milieu hostile. © Émilie Massemin / Reporterre
Larges espaces de prairies, ces fouillis d’épines et d’herbes folles sont méconnus, et souvent mal-aimés. « Pourtant, les études réalisées partout en Europe montrent qu’elles intègrent la plus grande biodiversité urbaine en faune et en flore », expliquait l’écologue Audrey Muratet à Reporterre. Dans son livre Flore des friches urbaines (éd. Xavier Barral, 2017), la botaniste a présenté les 258 espèces les plus communes. Ces espaces permettent aussi aux animaux des villes — insectes, papillons mais aussi mammifères comme le renard — de se déplacer au gré des tâches vitales de reproduction, alimentation ou repos qu’ils doivent accomplir. En Île-de-France, près de 2 700 friches sont disponibles. La réserve naturelle d’Épinay-sur-Seine est partiellement aménagée et certains espaces sont en évolution spontanée.
4 — Restaurer les petites rivières urbaines
Berges et fonds déplacés et artificialisés, qualité de l’eau fortement dégradée… « Les rivières sont les milieux qui subissent le plus de pression en ville », dit Laurent Lespez, chercheur au laboratoire de géographie physique. Certains cours d’eau sont même complètement enterrés. « Même si les rivières sont très difficiles à restaurer et que l’on part de loin, il est possible de prévoir des trajectoires d’amélioration du point de vue de la biodiversité », souligne-t-il.
À Saint-Rémy-lès-Chevreuse, à seulement 26 kilomètres de la tour Eiffel, l’Yvette a, elle aussi retrouvé, son lit. En raison du dénivelé, la rivière avait été harnachée de nombreux moulins, désormais inutilisés. Après plusieurs années de travaux, l’Yvette « méandre tranquillement dans son lit naturel avec des zones de calme, des zones où le débit s’accélère, ce qui permet d’enrichir des milieux de vie et donc la biodiversité », expliquait en 2021 le président du parc régional de la haute vallée de Chevreuse, Yves Vandevalle. « Des seuils ont été supprimés afin que les poissons puissent circuler d’amont en aval sans difficulté et que les sédiments puissent descendre le cours d’eau naturellement », expliquait aussi le chargé de mission au parc régional de la Gaute Vallée de Chevreuse François Hardy.
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Grâce à une succession de mares et de zones humides alimentées par les pluies ou la nappe phréatique, truites sauvages, écrevisses, anguilles, brochets ont retrouvé leurs marques. Mais également la bouvière, un poisson patrimonial remarquable, ou encore la lamproie de planaire, un poisson rustique discret et qui vit dans le sable. Le projet a coûté 1 million d’euros et permet d’absorber 8 000 m3 d’eau. Avec des ouvrages classiques en béton, des digues etc, il aurait fallu huit fois plus pour contenir le même volume, estiment les deux spécialistes. Double intérêt : le projet est bénéfique pour la biodiversité et permet de lutter contre les inondations à moindre coût.
5 — Trame noire pour la faune nocturne
En ville, la pollution lumineuse perturbe les animaux. Première mesure : éteindre la lumière dès que possible. Crise énergétique aidant, de nombreuses collectivités ont franchi le pas cet automne et ont coupé l’éclairage public en cœur de nuit. Mais les chauves-souris, les hérissons ou certains insectes, de nombreuses activités ont lieu au crépuscule. Pour y remédier, certains élus ont travaillé leur trame noire afin de créer des corridors qui permettent aux animaux sensibles à la lumière de se déplacer.
À Lille, au sein du parc de la Citadelle, les chauves-souris ont repris leurs droits. Le parc est équipé d’éclairage de faible intensité aux couleurs orangées. « L’éclairage ne se déclenche qu’en présence de piétons », explique l’adjoint au maire en charge du paysage et de la Nature, Stanislas Dendievel. Résultat : les insectes s’y sont multipliés et ont reconstitué un écosystème favorable aux martins-pêcheurs et aux hirondelles de rivage qui sont revenus en ville. Traversé par la Deûle, le parc pourrait servir d’exemple pour les communes voisines. « L’idée est de continuer à travailler cette trame le long de la rivière et de faire un maillage de plus en plus dense. »